2020年5月31日日曜日

proudhon 1865 ~#18

vous êtes presque tenté de pleurer ; mais ces spectateurs froids, ce monsieur ennuyé, vieil le connaissance de la famille, qui n'a pu se dispenser 

d'assister aux obsèques d'un ami, d'un protégé défunt : tout cela n'indique-t-il pas une préméditation sacrilége? Où trouver là le but, la pensée morale de l'art?. 
Eh bien, cette critique, qu'il est si aisé de charger, est la justification même de Courbet. En quel siècle vivons-nous ? demanderai-je aux hypocrites qui l'accusent. N'avez-vous jamais assisté à une cérémonie funèbre, et n'avez-vous pas observé ce qui s'y passe? 
Nous avons perdu la religion des morts; nous ne comprenons plus cette poésie sublime dont le christianisme, d'accord avec lui-même, l'entourait; nous n'avons pas foi aux prières, et nous nous moquons de l'autre vie. La mort de l'homme aujourd'hui, dans la pensée universelle, est comme celle de la bête : Unus est finis hominis et jumenti; et malgré le Requiem, malgré le catafalque, malgré les cloches, malgré l'église et tout son décorum, nous traitons les restes de l'un comme ceux de l'autre. Pourquoi des funérailles? 
Pourquoi des sépulcres? Que signifient ces marbres, ces croix, ces inscriptions, ces couronnes d'immortelles? Ne vous suffit-il pas du tombereau qui, sur l'ordre de la police, prendra le corps et le conduira. 
à Montfaucon ? 
C'est cette plaie hideuse de l'immoralité moderne que Courbet a osé montrer a nu; et le tableau qu'il en a fait est aussi éloquent que le pourrait être un sermon sur la même matière de Bridaine ou de Bossuct. Là. 

nous dit-il, je ne vois plus qu'une chose qui soit respectable : ce sont les pleurs des mères, des sœurs, des épouses; c'est l'ignorance des enfants. Tout le reste est comédie, et, comme vous dites, sacrilège. Or ce sacrilège, vous ne l'apercevriez pas, âmes pourries et cadavéreuses que vous êtes, si la peinture ne vous le faisait entrer de vive force dans la conscience, par l'horreur même de la représentation. C'est pour cela, sachez-le, que Lamennais a voulu être jeté dans la fosse commune, comme un chien, sans cérémonie et sans cortége.- Puisque nos lois de police ne permettent pas à l'ami d'ensevelir dans le secret le corps de son ami, pensait l'auteur de l'Indifférence, dérobons-nous du moins à la curiosité indiscrète, et que le croque-mort banal en finisse t. 
Courbet s'est donc montré, dans le tableau de l'Enterrement, aussi profond moraliste que profond artiste; il vous a donné la vérité sanglante, impitoyable ; en révoltant en vous l'idéal, il vous rappelle à votre dignité; et s'il n'a pas fait une œuvre sans défaut, il en a fait une incontestablement salutaire et originale, que nous eussions jugée prodigieuse s'il nous restait le moindre sentiment de l'art, si notre âme, notre raison, notre intelligence, notre conscience n'étaient, pour ainsi dire, frappées d'anesthésie. Que pèsent ici toutes les réserves de la plus malveillante .critique? « La composition de Y Enterrement viole toutes les règles. 

les personnages y forment une sorte de bas-relief désordonné. les têtes, trop accusées au dernier plan, viennent au premier?. » Je vous accorde tout ce que vous voudrez. En est-il moins vrai que Courbet s'est ouvert dans l'art une nouvelle et immense perspective ; qu'une idée comme celle de l'Enterrement est à elle seule une révélation, et que l'excitation idéaliste qui en résulte est si puissante, qu'on finit par trouver que l'artiste n'a point encore assez fait, comme les Grecs trouvaient que les figures de leurs dieux n'étaient jamais assez belles, et qu'on voudrait faire remettre vingt fois au concours un sujet si nouveau, si accusateur et si émouvant? 
La Baigneuse. 
Parlons de la célèbre Baigneuse, qui souleva contre l'école prétendue réaliste une réprobation générale dont la clameur poursuit encore Courbet. J'ai eu l'un des-premiers, je puis le dire, l'honneur d'applaudir à « ce monceau de matière puissamment rendu, qui tourne avec cynisme le dos au spectateur. » Remarquez cela: en dépit du sarcasme, du dégoût, de la condamnation, toujours un certain éloge se trouve en faveur de Courbet sous la plume des critiques. Eh bien! messieurs les appréciateurs jurés, faiseurs de comptes rendus, experts de la grande presse, ditesmoi donc, là, sérieusement, ce que vous trouvez-à re- 

prendre à cette invention nouvelle? Le dessin y manque-t-il, ou la couleur? N'y a-t-il pas de l'étoffe, et, comme on dit à l'atelier, de la patte? Elle ne vous plaît pas: pourquoi? Déduisez-moi vos raisons. Oh! 
vous aimeriez mieux, on le sait, une nymphe de Pradier ou de Clésinger, dans une posture impossible, sous l'aiguillon d'Éros; une odalisque de M. Ingres, ou tout autre miroir aphrodisiaque. Vos feuilletons, vos romans, vos petits vers, témoignent là-dessus et de votre éthique et de votre esthétique. Mais n'y a-t-il donc que la Vénus vulgivague ou millionnaire, en chemise ou retroussée, qui puisse être appréciée de vous? 
Cette honnête femme, qui sort du bain et se laisse voir par derrière, sans songer à mal, ne trouvera-t-elle pas grâce devant vous? Oublions, pour un moment, vos délices épicuriennes, et raisonnons. 
« Elle est laide, elle vous dégoûte, » prétendezvous..— N'exagérons rien: nous faisons ici de l'art, non de la volupté. Que la femme que vous montre ici Courbet, dans une attitude aussi réservée que la nudité le comporte, ne soit rien moins qu'une beauté idéale, c'est possible : telle n'a pas été non plus l'intention du peintre. Grasse et dodue, large de croupe et fournie d'encolure, brune et luisante, à coup sûr op ne vous la donna jamais pour une Diane ou une Hébé. 
Remarquez cependant qu'elle n'est ni bossue, ni bancale, ni mal bâtie; le monde est plein de belles femmes 

qui, au déshabillé, ne la vaudraient certainement pas. 
Comment donc ne voyez-vous pas que ce qu'il y a ici de disgracieux, de répugnant même, et que vous ne savez pas seulement définir, est un effet de l'art, une préméditation du peintre? Or il s'agit entre nous précisément de cela : à moins de dire que l'artiste n'a su ce qu'il voulait et ce qu'il faisait, je me demande, moi, quelle a été l'idée de Courbet en peignant cette figure, d'une vérité, d'un réalisme, si vous voulez, que rien ne surpassera jamais? Vous êtes-vous seulement posé cette question? 
On m'a raconté qu'au Salon de 1853, où la Baigneuse fut exposée pour la première fois, l'impératrice Eugénie venait de voir le tableau, si justement applaudi, de mademoiselle Rosa Bonheur, le Marché aux chevaux. On avait eu soin de faire observer à Sa Majesté Impériale, Andalouse, comme on sait, d'origine, qu'elle ne devait pas juger de nos races chevalines d'après celles de son pays, et que ce qui faisait le principal mérite du Marché aux chevaux, ce qui le rendait intéressant pour l'amour-propre national, c'était la fidélité avec laquelle l'artiste avait su rendre la j plus belle de nos races, la race percheronne. Ceci, soit dit en passant, prouve que, dès 1853, Courbet n'était pas le seul peintre réaliste que nous eussions ; qu'il y en avait d'autres qui, sans négliger l'idéal, cultivaient le réel, et, sans s'en douter le moins du monde. 

auraient mérité tout autant que lui d'être classés parmi les réalistes. De tout temps les statuaires el les peintres ont idéalisé le cheval, la plus noble conquête de Vhomme, comme ils idéalisaient l'homme luimême. Cela prouve le cas que nous avons fait, dès le premier âge, de ce bel animal. Mais où le trouve-t-on ce cheval idéal? Qui l'a vu? Nous connaissons le cheval limousin, normand, percheron, andalou, arabe, mecklenbourgeois, cosaque même; et dans toutes ces variétés il y a de superbes échantillons ; mais de cheval idéal, point : c'est une convention pure. - Arrivée devant la Baigneuse, l'Impératrice ne put retenir un cri de surprise : Est-ce aussi une Percheronne? fit-elle. 
— Si j'avais été présent, j'aurais pris la liberté de répondre à Sa Majesté, en ôtant mon chapeau : Non, madame; celle-ci est une simple bourgeoise, comme nous en avons également beaucoup, et dont le mari, libéral sous Louis-Philippe, réactionnaire sous la République, est actuellement l'un des sujets les plus dévoués de l'Empereur. 
Oui, la voilà bien cette bourgeoisie charnue et cossue, déformée par la graisse et le luxe; en qui la mollesse et la masse étouffent l'idéal, et prédestinée à mourir de poltronnerie, quand ce n'est pas de grasfondu; la voilà telle que sa sottise, son égoïsme et sa cuisine nous la font. Quelle ampleur 1 quelle opulence ! 
On dirait une génisse attendant le sacrificateur. Com- 

parez entre elles la Baigneuse et la Fileuse endormie. 
et vous vous apercevrez d'une chose : c'est qu'entre paysannerie et bourgeoisie le fond est absolument le même, mais que la différence des physionomies créée par les mœurs est énorme. Est-ce que cette épaisseur de lard ne vous semble pas, dans sa flasque matérialité, rendre la pensée de l'artiste mille fois mieux que ne pourrait faire la plus savante allégorie ? Ni le Raminagrobis de La Fontaine, Ce chat faisant la chattemite, Ce saint homme de chat, Bien fourré, gros et gras; ni le rat, si joliment raconté par le même, qui, enfermé dans up fromage, s'engraissait à la ronde, n'approchent du type créé par Courbet. Ce chat et ce rat sont de l'apologue, des malices d'enfant ; l'autre est de la haute comédie. 
Quand je dis bourgeoisie, il faut s'entenare. Ce n'est pas une classe de citoyens que j'entende vouer à la risée de la plèbe ; je ne fais pas ici de politique : c'est tout simplement un inconvénient de certaines habibitudes que je dénonce. La théologie enseigne qu'il y a des grâces d'état; il y a aussi des vices d'état. D'ailleurs il en est un peu de la peinture comme de la musique : chacun a le droit d'y voir ce que bon lui semble; l'essentiel pour le peintre est que l'on y découvre quelque chose. Cette femme, que je vous présente ici 

avec son gros derrière, comme la personnification de la bourgeoisie, peut devenir, à votre gré, tout autre chose. Ce pourrait fort bien être un bas-bleu, par exemple; j'en ai vu de cette carrure : l'exercice de la plume vous alourdit une femme tout comme le couteau de la charcutière. Ce peut être quelque chose de r moins estimable encore, et qui est parfaitement dans nos mœurs, une mère abbesse. La courtisane est goinfre, goule, tourne rapidement à la graisse, et devient énorme. Toutes ces variétés rentrent, quanta la forme, dans le même type. Le général russe Mourawief fait fouetter les Polonaises patriotes : c'est un brutal qui ne sait pas son métier. Courbet fait pis à ses victimes : il les peint cul nu, et les rieurs sont de son côté. Je connais un zélateur de l'idéal qui, fasciné par l'incomparable énergie de ce tableau, eut l'étrange curiosité de faire connaissance, comme dit la Bible, cognoscerey avec le modèle. Que trouva-t-il? C'est ce que j'ai oublié de lui demander, eL qui ne nous importe guère. Comme un homme qui, n'ayant pas l'œil mon- 
tagnard; regarde du haut d'un roclier à pic au fond d'un abîme, cet idéaliste avait été pris de vertige et s'était, ma foi, bravement précipité. Je souhaite aux peintres de l'Académie et aux partisans de l'art pour l'art beaucoup de triomphes comme celui-là. 

CHAPITRE XIV 
Caractère de l'art dans la période qui commence : définition de la nouvelle école. 
Nous reprendrons l'examen des tableaux de Courbet ; essayons, avant d'aller plus loin, de déterminer le caractère de l'art dans la période où nous sommes entrés depuis dix ou quinze ans, et de définir la nouvelle école. 
Nous avons dit que l'art a son principe et sa raison d'être dans une faculté spéciale de l'homme, la faculté esthétique. Il consiste, avons-nous ajouté, dans une représentation plus ou moins idéalisée de nous-mêmes et des choses, en vue de notre 'perfectionnement moral et physique. 
Il suit de là que l'art ne peut subsister en dehors de la vérité et de la justice; que la science et la morale sont ses chefs de file ; qu'il n'en est même qu'un auxiliaire ; que par conséquent sa première loi est le respect des mœurs et la rationalité. L'ancienne école, au contraire, tant classique que romantique, soutenait, et des philosophes distingués se sont rangés à cette 

opinion, que l'art est indépendant de toute condition morale et philosophique, qu'il subsiste par lui-même, comme la faculté qui lui donne naissance : c'est cette opinion qu'il s'agit actuellement d'examiner à fond, car c'est elle qui fait toute la difficulté entre les écoles. 
L'art, donc, pense-t-il? sait-il? raisonne-t-il ? conclut-il?. A cette question catégorique, l'école romantique, plus hardie encore que sa rivale, a répondu non moins catégoriquement : NON, faisant de ce qu'elle nomme fantaisie, génie, inspiration, soudaineté, et qui n'est autre chose qu'une ignorance systématique, la condition essentielle de l'art. Ne rien savoir, s'abstenir de raisonner, se garder de réfléchir, ce qui refroidirait la verve et ferait perdre l'inspiration ; prendre la philosophie en horreur, telle a été la maxime des partisans de l'art pour l'art. Nous ne condamnons pas la science en elle-même, disent-ils; nous rendons parfaite justice à son utilité, à son honorabilité, et nous ne sommes pas les derniers à en illustrer les représentants. Nous prétendons seulement qu'elle n'est d'aucun secours pour l'art; qu'elle lui est même fatale. 
L'art est tout spontané ; il est inconscient de lui-même ; il s'ignore : c'est intuition pure; il ne sait ce qui le mène, ni ce qu'il fait, ni où il va. Que d'autres mettent de la suite, de la logique dans ses. manifestations; qu'ils en cherchent la raison, qu'ils en montrent le lien : c'est affaire de philosophie) que l'on 

peut trouver fort plausible, mais qui ne regarde réellement point l'artiste. La Muse, faculté universelle, souffle divin, incoercible, rebelle à l'analyse comme à la discipline, visite tantôt celui-ci, tantôt celui-là; c'est elle qui dit à chacun : Tu seras artiste I Heureux le prédestiné qu'elle couvre de ses ailes 1 il enlèvera l'admiration des hommes et conquerra l'immortalité. 
Mais c'est en vain qu'il essayerait de retenir, par les chaînes de la méditation, l'esprit céleste; c'est en vain qu'il voudrait lui commander au nom d'une théorie : la dialectique le fera fuir, et pour jamais. Le plus ignorant des hommes peut avoir une inspiration heureuse ; le téméraire qui, par la philosophie, par la critique, par la raison pure, croit s'en emparer, n'y arrivera jamais. 
Cette exclusion de la science du domaine de l'art s'étend à la morale. - L'art existe par lui-même, disent-ils encore ; il est indépendant des notions de justice et de vertu; c'est la liberté dans son absolutisme. Sans doute, et nous ne le nions pas, ce qui est moral est digne de toute louange , eL ce qui est criminel digne de réprobation. Nous n'avons jamais pré- 
tendu que l'art puisse changer la nature et la qualité des choses, faire du crime une vertu, rendre moralement bon ce qui est moralement mauvais. Nous disons 
que l'art, en tant qu'art, est affranchi de toute considération morale comme de toute étude philosophique; 

en sorte qu'il peut se manifester, se développer dans la superstition et la débauche, comme dans la science et la sainteté, produire des chefs-d'œuvre sur des sujets immoraux et absurdes, ni plus ni moins que dans la célébration des idées et de toutes les vertus civiques et domestiques. 
Ainsi, parce que Jules Romain et autres ont fait, avec un merveilleux talent, des peintures obscènes, parce que Parny et Voltaire ont écrit, l'un la Guerre des dieux, l'autre la Pucelle, on s'est imaginé que l'art pouvait se suffire,- et que, tout le reste éteint, il aurait la puissance de faire revivre le cadavre et d'ennoblir l'humanité. On s'est abusé par le plus grossier sophisme. On n'a pas compris que des œuvres comme celles que je viens de citer sont des monstres, où la laideur du sujet est arbitrairement mariée à une forme belle, mais dès longtemps donnée et découverte. La .question, en effet, n'est pas de savoir si des artistes comme Voltaire et Jules Romain, venus à la suite du développement complet de la langue, de la littérature et de l'art, peuvent faire ce que bon leur semble de leur style et de leur pinceau : la question est de savoir si la langue et l'art seraient arrivés, sous l'influence d'œuvres comme la Pucelle et de gravures comme celles de YArétin, au point de perfection où ces grands artistes les ont trouvés. Les créateurs de la langue - française, ne l'oublions pas, sont Malherbe, Corneille, 

Boileau, Pascal, Bossuetet autres semblables, les plus sévères, les plus précis et les plus chastes des génies. 
Jugeons du reste par cette analogie. 
La question de l'indépendance de l'art conduit à une autre : celle de sa fin ou de sa destination. Sur ce point, comme sur le précédent, l'ancienne école n'est pas moins explicite et décisive. D'après les classiques et les romantiques, qu'il serait inconséquent de séparer, l'art est à lui-même sa propre fin. Manifestation de la beauté et de l'idéal, quel autre objet pourrait-on lui assigner que celui de plaire, d'amuser? Il répugne à toute fin utilitaire. S'il favorise les mœurs, s'il aide à la santé, s'il contribue à la richesse, tant mieux pour elles) l'homme d'État pourra en prendre texte pour imposer à l'art certaines restrictions de police ; mais il n'en résulte nullement que l'art reconnaisse une suzeraineté en dehors de sa nature. Les ordonnances du législateur ont leur motif; elles doivent être respectées; comme citoyen, l'artiste s'y soumet; comme interprète de l'idéal, il ne s'en soucie aucunement. Son unique but, c'est, en vous faisant part de ses impressions personnelles, quelles qu'elles soient, d'exciter en vous cette délectation inlime qui double la jouissance de la réalité, qui tient lieu bien souvent de sa possession. Qu'importe ici la moralité du fait ou sa logique? Qu'importe la valeur, économique ou morale, de la chose? Vous êtes séduit, passionné, trans- 

porté : c'est tout ce que veut l'artiste. Le reste est hors de sa compétence, hors de sa responsabilité. 
Je ne perdrai pas mon temps à réfuter cette théorie, fondée sur une équivoque, et que chacun aujourd'hui peut juger par ses fruits ; car c'est elle qui, depuis soixante ans, pour ne pas remonter plus haut, a fait déchoir constamment l'art et qui l'a perdu. 
L'âme humaine est constituée en une sorte de polarité, CONSCIENCE et Science, en autres termes JUSTICE eti Vérité. Sur cet axe fondamental, comme sur leur dominante, gravitent les autres facultés : la mémoire, l'imagination, le jugement, la parole, l'amour, la politique; l'industrie, le commerce, l'art. Ce qui a dérouté les artistes, ou, pour mieux dire, ceux qui leur ont fourni cette fausse esthétique, c'est qu'ils ont méconnu cette constitution. 'Ils ont vu dans l'âme humaine une triade où le sentiment, l'esthésie, figurait, selon eux, comme troisième terme, égal aux deux autres ; tandis qu'il n'y a véritablement qu'une dyade, ou, comme je le disais tout à l'heure, une polarité, dans laquelle l'art ne peut plus évidemment être considéré que comme fonction auxiliaire. La preuve de cette subordination de l'art vis-à-vis de la conscience et de la science, c'est que, comme nous l'avons démontré précédemment (eliap. xi) ; dans tout ce qui est de science et de droit purs, l'idée et l'idéal sont identiques et adéquats ; qu'à cet égard le rôle de l'art de- 

vient nul, et qu'il ne rentre en exercice qu'à l'égard des objets particuliers, des individus et de leurs actions, dont l'idée propre, c'est-à-dire la forme, figure ou image, nécessairement différente du type ou de la loi, est différente de l'idéal. En sorte que science et conscience sont en nous les deux sources de l'idéal, c'est-à-dire de la faculté que nous avons de considérer les choses d'après leur loi, et de tendre à les y ramener, et qu'un art qui se déclarerait indépendant de la science et de la morale irait contre son propre principe : ce serait une contradiction. 
Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet : il me faudrait répéter ce que j'ai dit de l'évolution historique de l'art, évolution dans laquelle nous l'avons vu suivre pied à pied la civilisation, et se faire rudement éconduire lorsqu'il, s'en écartait ; ce que j'ai dit ensuite de l'irrationalité de l'art aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, irrationalité qui, dégénérant en orgie et débauche, a fini par tuer jusqu'au génie. Je me contente de rétablir ici le vrai principe, me confiant pour le surplus à l'intelligence du lecteur. 
C'est contre cette théorie dégradante de l'art pour l'art que Courbet et, avec lui, toute l'école jusqu'à présent nommée réaliste s'élèvent hautement et protestent avec énergie.—Non, dit-il,—je traduis ici la pensée de Courbet d'après ses ouvrages, plutôt que je ne la cite d'après ses discours , — non, il n'est pas vrai que la 

seule fin de l'art soit le plaisir, car le plaisir n'est pas une fin; il n'est pas vrai qu'il n'ait d'autre fin que luimême, car tout se tient, tout s'enchaîne, tout est solidaire, tout a une fin dans l'humanité et dans la nature : l'idée d'une faculté sans but, d'un principe sans conséquence, d'une cause sans effet, est aussi absurde que celle d'un effet: sans cause. L'art a pour objet de nous conduire à la connaissance de nous-mêmes, par la révélation de toutes nos pensées, même les plus secrètes, de toutes nos tendances, de nos vertus, de nos vices, de nos ridicules, et par là de contribuer au développement de notre dignité, au perfectionnement de notre être. Il ne nous a pas été donné pour nous repaître de chimères, nous enivrer d'illusions, nous tromper et nous induire à mal avec des mirages, comme l'entendent les classiques, les romantiques et tous les , sectateurs d'un vain idéal; mais pour nous délivrer de ces illusions pernicieuses, en les dénonçant. 
Il ne suit pas de là, dirai-je à mon tour, que l'œuvre d'art doive affecter des airs de rudesse, de gronderie et de déplaisance, se poser en divinité rageuse. La beauté et la grâce sont essentiellement de son domaine ; elles y priment le grossier et le laid. C'est pour cela que nous avons vu l'art, dans la jeunesse des sociétés, tendre de toutes ses forces à représenter les choses, selon l'expression de Raphaël, non pas précisément telles qu'il les voyait, mais comme il aurait voulu 

qu'elles fussent, entourées d'une auréole d'amour, plus belles que nature, en un mot, idéales. C'était l'enfance de l'art, si vous voulez ; mais l'enfance aime la beauté, et elle s'y connaît. Allez-vous donc mettre l'enfance hors de la vie humaine? Et notez ceci, à la justification des anciens artistes : à mesure que l'humanité se dégagera du vice, de la tyrannie et de la misère, nous verrons la figure humaine, je veux dire la figure de l'homme vivant, s'illuminer elle-jpême, se rapprocher peu à peu de l'effigie qu'elle s'est faite autrefois, comme de son modèle; réaliser ainsi dans sa propre chair son antique idéal, et y ramener ses nouvelles créations. Ce résultat final est inévitable, à moins de nier -toute espèce de progrès. Nous sommes loin de cet avenir, sans doute : trente siècles de fausse civilisation, accumulés sur nos têtes, réclament de nous d'autres soins. 
Tout ceci posé, nous pouvons essayer de définir la nouvelle école et d'en préciser l'idée. Il nous suffit pour cela des quatre premiers tableaux que nous venons d'examiner. 
Les œuvres de Courbet ne sont point des caricatures ou des charges : ses partisans et ses adversaires reconnaissent tous qu'il reste dans la vérité réelle, lui faisant même de ce réalisme, les uns un reproche, les autres un éloge. Ce n'est pas de la satire, bien que l'idée satirique ne lui manque pas; mais elle n'épuise pas sa pensée; ce n'est qu'une variété dans son œuvre, 

comme elle est une variété, un genre à part, dans les œuvres de Boileau et d'Horace. Impossible de trouver une allusion satirique dans le Retour de la foire. 
Courbet ne procède point par l'hyperbole, la dérision ou l'invective; son ironie ne dégénère pas en calomnie ; il est sans haine comme sans flatterie. Si, comme artiste, il laisse voir une certaine colère brutale, ce n'est pas contre les sujets qu'il peint, contre les vices ou les ridicules qu'il attaque; c'est contre ses confrères, obstinés dans une voie fausse. Sous ce rapport, on a eu raison de dire qu'en envoyant Y Enterrement, la Baigneuse, etc., aux expositions de 1851 et 1853, il frappait comme un hercule de foire. 
On ne saurait davantage l'appeler un peintre de genre, à la manière des Hollandais et des Flamands, dont les peintures, agréables ou comiques, mais légères,.vont rarement au fond des choses, ne trahissent aucune préoccupation philosophique, et révèlent. plus d'imagination que d'observation. Citerait-on un Téniers qui fût dans la donnée de Courbet? Je ne. le saurais dire : en tout cas, je répliquerais que Téniers a anticipé sur son époque ; ce qui n'est pas sans exemple parmi les artistes. Les tableaux du peintre d'Ornans sont des miroirs de vérité, dont le mérite, jusqu'à présent hors ligne, abstraction faite des qualités et - des défauts de  l'exécution, est dans la profondeur de l'idée. la fidélité des types, la pureté de la glace et la puissance du réflé- 

chissement. Cette peinture-là vise plus haut que l'art lui-même ; sa devise est l'inscription du temple de Delphes : Hommes, connaissez-vous vous-mêmes, concluant, par forme de sous-entendu, avec Jean le Baptiseur, et amendez-vous, si vous tenez à la vie et à l'honneur. 
Dira-t-on enfin, avec les écrivains de la nouvelle école, que ces tableaux sont de purs réalismes? Prenez garde, leur répondrai-je : votre réalisme compromettrait la vérité, que cependantvous faites profession de servir. Le réel n'est pas la même chose que le vrai ; le premier s'entend plutôt de la matière, le second des lois qui la régissent; celui-ci seul est intelligible, et à ce titre peut servir d'objet et de but à l'art; l'autre n'a par lui-même aucun sens. Les anciennes écoles sont sorties de la vérité par la porte de l'idéal ; n'allez pas en sortir à votre tour par la porte du réel.- Vous citez, en témoignage de votre réalisme, d'antiques chefsd'œuvre, tels que les bustes de Néron et de Vitellius, que vous opposez aux bustes flattés et menteurs de César et de Napoléon par M. Clésinger Je reconnais volontiers toute la distance qu'il y a entre l'oeuvre de l'artiste romain et celle du praticien français ; autant j'éprouve d'admiration pour l'une, aussi peu l'autre m'inspire d'intérêt. Mais, avant de conclure au réa- 
1. Courrier du Dimanche du 13 septembre 1863, article de M. CASTAGNARY. 

lisme des deux antiques, observez d'abord que vous n'êtes pas à même de comparer les portraits avec les originaux; en second lieu, que le grand mérite de ces bustes, c'est que leur auteur n'a pas rien fait que copier ses modèles, ce qu'eût pu faire tout aussi bien un mouleur ; il en a rendu, sans sortir de la vérité, la physionomie, l'air, ce je ne sais quoi qui fait qu'un portrait vous frappe, qui ne résulte pas de la matière, et qui est l'esprit. 'Voilà sans doute, si la critique que vous faites des bustes de M. Clésinger, que je n'ai pas vus, est juste, ce que cet artiste n'aura pas appris à faire, et où ceux d'il y a dix-huit siècles excellaient : il s'agissait pour lui, comme pour les anciens, de nous montrer les âmes des deux empereurs; il n'a su que redresser les traits de leurs visages; d'après le canon grec. La réalité physique, souvenez-vous-en, ne vaut que par l'esprit, par l'idéal qui respire en elle, et qui ne consiste pas seulement dans une certaine symétrie ou élégance de forme. Allez-vous donc, à force de chercher la réalité, sacrifier l'esprit à la matière, comme les adorateurs de la forme, à force de chercher l'idéal, ont sacrifié la vérité à une chimère ? 
Je conclus donc, et cela de vos propres appréciations, que pour exécuter un portrait, à plus forte raison une scène de la vie sociale, l'intervention de l'idéal est absolument indispensable : non encore une fois qu'il s'agisse pour l'artiste de refaire, corriger et embellir 
r

„ l'œuvre de la nature et de la société, du crime peutêtre; mais précisément afin de conserver aux personnages la vérité, la vie, l'esprit de leur physionomie. 
C'est ce qu'a voulu dire Courbet, qui, s'il s'exprime souvent mal, s'entend fort bien avec lui-même, dans ce défi jeté par lui à ses adversaires : Vous qui vous chargez de peindre des César et des Charlemagne, sauriez-voùs faire le portrait de votre père ? 
Puis donc que l'idéal est essentiel à l'art, aussi bien d'après la nouvelle école que d'après les écoles antérieures, et que le réel ne figure chez toutes qu'à titre de matière brute, substance ou support de la forme, de l'idée, de l'idéal, ce n'est point du tout par son réalisme que cette école doit être définie; c'est par la manière dont elle fait fonctionner à son tour l'idéal. L'art égyptien fut, en raison de son idéal, typique, symbolique, métaphysique ; l'art grec fut, par la même cause, idolâtrique, voué auoulte de la forme; l'art chrétien fut à son tour, de par l'Évangile, spiritualiste et ascétique ; celui de la Renaissance est un ambigu, moitié païen, moitié chrétien, d'un effet étrange ; l'art hollandais enfin, sorti de la démocratie et de la pensée libre, affranchi de toute mythologie, allégorie, idolâtrie, spiritualité, de tout respect hiérarchique; acceptant le peuple pour sujet, pour type, pour souverain et pour idéal, a mérité d'être défini par nous art humain. Mais cette désignation, plus révolutionnaire que philoso- 

pliique, excellente pour marquer la transition qui sépara tout à coup le monde catholique et féodal du monde de la science et de la liberté, ne suffit plus; elle n'est pas assez distinctive; elle manque pour nous d'horizon, en laissant croire que l'art n'a plus à faire désormais qu'à continuer les Hollandais, tandis qu'il est manifeste que déjà il les dépasse. Quant aux idéalistes de la fantaisie qui, sous les noms de classiques et de romantiques, occupent toute la période comprise entre la Révolution et le second Empire, il ne peut pas même en,être ici question : ceux-là n'ont pas plus d'idéal que n'en auraient les purs réalistes, s'il en existait. 
Ainsi la question se réduit, pour définir la nouvelle école et déterminer le caractère nouveau de l'art, à dire de quelle nature est, en général, l'idéalisme auquel il doit désormais se référer. Tout d'abord, je remarque que l'idéal artistique chez les Égyptiens, les Grecs, les chrétiens,- et même à la Renaissance, correspond à un dogme religieux, dont il n'est que la traduction; il pivote sur ce dogme ; il y ramène de près ou de loin toutes ses inventions. On peut donc l'appeler, d'une manière générale, idéalisme dogmatique. Depuis la réforme luthéro-hollandaise, le dogme à.priori a cédé la place à la libre pensée ; l'art a pris son idéal partout, dans l'infini de la nature et de l'humanité et dans la contemplation de leurs splendeurs et de leurs lois; et 

il a gravité, non plus, comme jadis, vers un idéal suprême, source de toutes ses inspirations, centre de toutes ses idéalités , mais vers un but supérieur à lui, but qui sort de la sphère propre de l'art, l'éducation progressive du genre humain. Nous pouvons donc dire avec exactitude que l'idéalisme décentralisé, universel, naturel et humain,-qui régit l'art nouveau, est antidogmatique. Cette épithète, purement négative, deyanLse transformer en un équivalent affirmatif, nous dirons en conséquence : idéalisme critique, école critique. Malheureusement, je crains que la susceptibilité un peu arbitraire de notre langue ne permette pas de dire avec la même convenance, art critique; je propose en conséquence, pour les gens de goût difficile, de se servir, avec le mot art, de l'adjectif rationnel, suffisamment motivé par l'irrationalité de l'art pendant la première moitié de ce siècle, et qui signifie à peu près la même chose que critique. 
De même donc qu'il existe, depuis Descartes et Kant, une philosophie antidogmatique ou critique; de même aussi qu'à l'exemple de cette philosophie, la littérature s'est faite à son tour et principalement critique; de même l'art, se développant parallèlement à la philosophie, à la science, à l'industrie, à la politique et aux lettres, devait se renouveler aussi dans le criticisme. 
Critique, du grec krinô, je juge. Art critique, comme qui dirait art justicier, art qui commence par 

se faire justice à lui-même, en se déclarant serviteur, 
non de l'absolu, mais de la raison pure et du droit ; art qui ne se contente plus d'exprimer ou faire naître des impressions, de symboliser des idées ou des actes de foi ; mais qui, à son tour, unissant la conscience .et la science au sentiment, discerne, discute, blâme ou approuve à sa manière ; art qui, aux définitions de la philosophie et de la morale, vient ajouter sa sanction propre, la sanction du beau et du sublime; art qui, par conséquent, se ralliant au mouvement de la civilisa, tion, en adoptant les principes, est incapable de se pervertir par l'abus de l'idéal, et de devenir lui-même instrument et fauteur de corruption. 
L'art nous dit, par l'organe de la nouvelle école, son interprète : Telle pensée, telle action, telle habitude, telle institution, est déclarée, par le droit et par la philosophie, vraie ou fausse, juste ou injuste, vertueuse ou coupable, utile ou nuisible; je vais démontrer à mon tour, par les moyens dont je dispose, que cette même action est encore belle ou laide, généreuse ou ignoble, gracieuse ou brutale, spirituelle ou bête, suave ou triste, harmonique ou chari, 
varique : en sorte que, lorsque vous aurez recueilli sur un même objet le témoignage de la science, le jugement de la justice et la sanction de l'art, vous aurez sur cet objet la plus haute certitude, et vous' l'aimerez ou le détesterez à jamais. 

Évidemment, jusqu'à la naissance de la nouvelle école, l'art n'avait pas compris sa mission avec cette netteté et cette hauteur ; il ne se connaissait nullement comme auxiliaire et complément de la raison : il n'affectait point ce rôle éducateur; loin de là : il se faisait fort d'embellir et de glorifier l'immoralité même, se posant en critère des mœurs-et des croyances, et affectant les prérogatives de l'absolu. 
C'est ainsi que la faculté esthétique, se dépravant par l'idolâtrie, était devenue pour l'homme le principe du péché, et pour la société un ferment de dissolution. 
Maintenant cette corruption spontanée de l'art, et, par l'art, de la morale publique et privée, n'est plus possible. L'art, devenu rationnel et raisonneur, critique et justicier, marchant de pair avec la philosophie positive, la politique positive, la métaphysique positive, ne faisant plus profession d'indifférence, ni en matière de foi, ni en matière de gouvernement, ni en matière de morale, subordonnant l'idéalisme à la raison, ne peut plus être un fauteur de tyrannie, de prostitution et de paupérisme. Art d'observation, non plus srulement d'inspiration, il mentirait à lui-même, et de propos délibéré se détruirait, ce qui est impossible. L'artiste peut se vendre; pendant longtemps encore la peinture et la statuaire, comme le roman et le drame, auront leurs infâmes : l'art est désormais incorruptible. 

CHAPITRE XV J
Confirmation de la théorie criticistë. — Les Casseurs de pierres. 
Les Demoiselles de la Seine. 
Les débuts de l'école critique, aux expositions de 1851 et 1853, produisirent une impression généralement désagréable, pénible. Cela ne pouvait manquer d'arriver : d'abord nous sommes au prélude d'une révolution; de même que l'histoire est à écrire,- l'art tout entier est à refaire : on devait s'attendre que les premiers essais laisseraient à désirer ; puis le goût public est dépravé et l'impatience de la vérité extrême. Vous sentez-vous corrompus ? demandait un jour aux électeurs de Lisieux M. Guizot. Il était sûr de la réponse; aussi le suffrage de ces honnêtes citoyens ne lui manqua pas. Avec Courbet, c'est autre chose : il ne ménage pas -la vérité à son public; aussi les applaudissements sont rares et le'succès médiocre. 
Le plus grand mal d'une société qu'ont fait déchoir les surexcitations de l'idéalisme, c'est qu'elle n'a. plus de goût que pour ce qui l'a perdue, et qu'elle n'offre plus de prise au réformateur, artiste ou philosophe, 

qui cherche à la faire revenir. Elle ressemble à ces malades pris de dégoût, que ni l'exercice, ni la diète, ni le -grand air, ni les raffinements de la gastronomie n'ont la puissance de mettre en appétit. L'idéal est une des puissances de notre âme: une fois épuisée, elle ne peut se rétablir que par un vigoureux effort de la conscience. Que si l'abus des jouissances a détendu jusqu'au ressort moral, l'homme est fini : ni art ni raison n'y peuvent plus rien ; il n'y a qu'à jeter le cadavre. 
Ces réflexions m'ont été principalement suggérées par deux tableaux de Courbet, bien différents pour le sujet, mais qui se font pendant par l'idée: les Casseurs de pierres et les Demoiselles de la Seine. On accuse Courbet de tuer l'idéal par son réalisme; jamais peintre, au contraire, ne l'excita plus fortement qu'il n'a fait dans ces deux remarquables ouvrages. 
Les Casseurs de pierres. 
D'autres, avant Courbet, ont essayé de la peinture socialiste, et n'ont pas réussi. C'est qu'il 11e suffit pas de vouloir : il faut être artiste. Reproduire des réalités, encore une fois, n'est rien : il faut faire penser; il faut toucher, faire luire sur la conscience un idéal d'autant plus énergique qu'il se dérobe aux regards. 
Les Casseurs de pierres sont une ironie à l'adresse de notre civilisation industrielle, qui tous les jours in- 

vente des machines merveilleuses pour labourer, semer, faucher, moissonner, battre le grain, moudre, pétrir, Mer, tisser, coudre, imprimer, fabriquer des clous, du papier, des épingles, des cartes; exécuter enfin toutes sortes de travaux, souvent fort compliqués et délicats, et qui est incapable d'affranchir l'homme des travaux les plus grossiers, les plus pénibles, les plus répugnants, apanage éternel de la misère. Nos machines en général, chefs-d'œuvre de précision, ont plus d'habileté que nous-mêmes; elles font mieux quenous, pour peu que ce que nous leur demandons exige d'intelligence et même d'art; une fois en mouvement, elles nous remplacent avec un immense avantage. Il n'y a qu'un reproche à leur faire : elles ne se meuvent pas d'elles-mêmes; elles ont besoin qu'on les surveille, qu'on les gouverne et même qu'on les serve. Or, quel est le serviteur des machines? L'homme. L'homme serf, tel est le dernier mot de l'industrialisme moderne. Il y a longtemps que le problème de la spéculation capitaliste, consistant à reporter chaque année au compte de capital les salaires économisés des ouvriers, serait résolu, si la mécanique avait pu, de son côté, résoudre celui du mouvement perpétuel; si, en définitive, le moteur originel de l'industrie pouvait être autre que l'homme. 
Voilà, direz-vous, bien de la philosophie à propos 

d'un tableau ! Qui empêche d'inventer une machine à casser les pierres, comme on en a inventé une cour les scier? M. Courbet n'aurait eu alors rien à d wee. — A quoi je réponds : Courbet eût tout simplement modifié son sujet, car l'idée serait demeurée exactement la même, le problème étant insoluble. Une invention en appelle une autre; de sorte que, pour esquiver toute main-d'œuvre, nous tombons dans le machinisme universel, aussi impossible, aussi introuvable que le mouvement perpétuel. Sans doute on ferait une machine à casser des pierres ; mais, pour être conséquent au point de vue du capitalisme, il en faudrait une autre pour les extraire de la carrière, une autre pour les charger, une pour les voiturer et les conduire, une encore pour les répandre; ce qui n'aurait pas de fin. Ce n'est pas tout : admettant ce machinisme, que ferez-vous des malheureux qui aujourd'hui vivent de ces travaux pénibles, et qui alors, sans occupation, n'auraient pour subsister ni capital, ni propriété, ni revenu?. Si bien qu'en résultat, l'homme est l'esclave de la machine, de la machine qu'il a inventée et construite de ses mains; que plus nous développons autour de nous la mécanique, plus nous multiplions la servitude, et que la misère physique, intellectuelle et morale de nos esclaves est d'autant plus grande que leur besogne est plus grossière et leur fonction plus servile. Telle est la loi du travail : elle est fatale; il n'y a pas moyen 

de faire qu'il en soit autrement. Que pensez-vous de cette situation? - Elle est on ne peut plus affligeante.
N'y aurait-il pas moyen d'y trouver quelque remède, quelque adoucissement? - On n'en connaît qu'un: c'est de répartir cette lourde tâche comme un service public, corvée ou prestation, entre tous les membres valides de la société. Hors de là il y a exploitation, asservissement des uns par les autres, partant dégradation de la race, enlaidissement. — Comment 1 est-ce que l'esthétique aussi conclurait à cela ? — Sans doute, et si l'art ne s'est pas avisé plus tôt d'en dire son mot, c'est que jusqu'à l'année 1789 de Jésus-Christ, le droit de l'homme et du citoyen était resté lettre close. 
L'idéalisme égyptien admettait la servitude; l'idéalisme grec, tout de même. 
Fermez les yeux maintenant. Les personnages qui figurent dans le tableau de Courbet sont au nombre de deux : un jeune homme de dix-huit ans et un vieillard de soixante. Avant d'examiner la peinture, dites-moi lequel de ces deux hommes vous semble devoir exprimer le mieux la servitude et la misère. — Le vieillard, assurément; la vieillesse ajoute au malheur et à l'indigence, tandis qu'il n'est pas d'afflictions que ne rachète la jeunesse. — Eh bien, vous vous êtes trompé ; regardez maintenant. 
Ce vieillard à genoux, courbé sur sa rude tâche, qui casse des pierres au bord du chemin, avec un marteau 

à long manche, attire certainement votre compassion. 
Sa figure immobile est d'une mélancolie qui va au cœur. Ses bras enroidis se lèvent et tombent avec la régularité d'un levier. Yoilà bien l'homme mécanique ou mécanisé, dans la désolation que lui font notre civilisation splendide et notre incomparable industrie. 
Pourtant cet homme a eu des jours meilleurs, puisqu'il a vécu ; si le présent est pour-lui sans illusion, sans espérance, il a du moins pour s'entretenir ses souvenirs, ses regrets, et ce n'est pas rien que d'avoir à se remémorer quelque chose ; tandis que ce déplorable garçon qui porte les pierres ne saura rien des joies de la vie; enchaîné avant le temps à la corvée, déjà il se découd; son épaule se déjette, sa démarche est affaissée, son pantalon tombe ; l'insoucieuse misère lui a fait perdre le soin de sa personne et la prestesse de ses dix-huit ans. Broyé dans sa puberté, il ne vivra pas. 
Ainsi le servage moderne dévore les générations dans leur croissance : voilà le prolétariat. Et nous parlons de liberté, de dignité humaine ! nous déclamons contre l'esclavage des Noirs, que leur qualité de bêtes de somme garantit au moins contre cet excès d'indigence ? 
Plût à Dieu que nos prolétaires fussent matériellement aussi bien traités que les Noirs 1 Sans doute il ne serait pas tout à fait juste de juger, d'après ce triste échantillon, le grand peuple aux dix millions d'électeurs souverains; mais en est-il moins vrai que c'est là une 

des faces honteuses de notre société, et qu'il n'est pas un de nous, citadin ou paysan, ouvrier ou propriétaire, qui ne puisse un jour, par un accident de fortune, se voir réduit là? La condition des casseurs de pierres est celle de plus de six millions d'âmes en France; vantez donc votre industrie, votre philanthropie et votre politique ! 
Un critique, d'une école qui n'est pas la nôtre, a dit des Casseurs de pierres que ce tableau était « en son genre un chef-d'œuvre. » J'accepte ce jugement. Le genre auquel aprtiennent les Casseurs de pierres est aujourd'hui le genre le plus'élevé, le seul admissible. 
Que manque-t-il à cette toile pour qu'elle réunisse tous les sutfrages ? Précisément d'être, en son genre, moins achevée. Si Courbet, par exemple, était aussi amoureux de l'antithèse que Victor Hugo, rien ne lui eût été plus facile que de créer dans son tableau un contraste : il aurait placé les casseurs de pierres à côté de la grille d'un château; derrière cette grille, en perspective, un vaste et superbe jardin : au fond, l'habitation du maître, avec terrasse, portique, statues de marbre représentant Vénus, Hercule, Apollon et Diane. Cela eût produit son effet, Courbet a préféré la grande route toute nue, avec son désert et sa monotonie : en quoi je suis tout à fait de son sentiment. La route solitaire est d'une bien autre poésie que ce contraste affecté de l'opulence et de la misère. C'est là 

qu'habitent le travail sans distraction, la pauvreté sans fêtes et la tristesse désolée. 
Des paysans, qui avaient eu l'occasion de voir le tableau de Courbet, auraient voulu l'avoir pour le placer, devinez où? Sur le maitre-autel de leur église. 
j Les Casseurs de pierres valent une parabole de lÉvangile; c'est de la morale en action. Je recommande cette idée paysanesque à M. Flandrin : elle pourra l'éclairer dans ses compositions religieuses. 
Les Demoiselles de la Seinem 
La pauvreté vous chagrine; ce labeur de cheval aveugle attaché au manège vous fait mal à voir. Vous admettez la tragédie, les infortunes éclatantes, le malheur héroïque; mais vous demandez s'il est de la dignité de l'art de reproduire ces vulgaires souffrances On sait bien, dites-vous, que tout dans cette vie n'est pas rose et amour : nos hôpitaux, nos prisons, nos asiles, nos monts-de-piété, nos bagnes, sont les monuments gigantesques de nos douleurs. La peine, c'est chose acquise, tient plus de place en ce bas monde que la joie. Mais pourquoi les confondre? Pourquoi empoisonner le peu qui nous reste de félicité en mêlant les images de l'une à celles de l'aulre. L'art a pour mission de jeter un voile de consolation et de décence sur la face misérable du siècle. Rome, qui bâtit le 

Colysée, avait ses égouts et ses cloaques, ou certes ne s'assemblèrent jamais ni le sénat ni le peuple. Ah ! 
faites-nous grâce de votre réalité : elle est assez odieuse par elle-même, sans que vous y ajoutiez encore par les raffinements de votre art critique. 
Et voilà justement en quoi consiste votre erreur, l'erreur de toutes les écoles d'art depuis le commencement du monde : vous voulez séparer ce qui est de soi inséparable, la lumière des ténèbres, l'esprit de la matière, la forme de la substance, la beauté de la laideur, le plaisir de la peine, l'art de la science et de l'industrie, l'idéal de la conscience, la jouissance du travail et de la maladie, la liberté de la servitude, la vie de la mort, la gloire de l'humiliation. Vous ne savez pas que la vie humaine se' compose incessamment de l'union de ces contraires, mêlés à diverses doses. Vous vous êtes fait un type des dieux et un type de l'homme, un type de l'aristocrate et un type de l'esclave ; vous avez rêvé une existence de perfection et de béatitude, et une autre de damnation et de supplice; et vous avez dit : Ceci est l'Idéal, le Paradis, l'Art; et cela est la Réalité, la Barbarie, l'Enfer. Et vous avez ainsi proscrit les neuf dixièmes du genre humain, vous réservant l'idéal et les condamnant au travail Nous rejetons vos catégories égoïstes; nous prétendons que l'art doit tout embrasser, à peine d'infamie pour lui et pour vous. 

Mais il faut vous contenter. Voici du luxe, de l'élégance, du loisir, des pensées hautes et ambitieuses, d'ardentes passions. Contemplez et jugez. 
Les Demoiselles de la Seine : titre dépourvu de sens, parfaitement imaginé pour tuer une œuvre. La Seine n'a rien à faire ici; on ne la découvre seulement pas. 
L'auteur a voulu dire : Deux jeunes personnes à la mode, sous le second Empire. Mais ce titre aurait paru séditieux; on ne le pouvait permettre. Notez cependant que l'Empire ne sert à désigner ici qu'une date ; de même que la Seine indique, par synecdoque, la civilisation parisienne. C'est tout ce qu'il y a de politique dans le tableau de Courbet. 
Sous le premier Empire, à quoi songeaient les jeunes filles? Je suppose qu'en 1812 cette idée fût venue à un peintre, comme elle est venue de notre temps à Courbet. Il aurait peint ses deux figures pleurant, comme les Troycnnes de l'Énéide au bord de la mer; lisant le bulletin de la Moskowa ou celui de la Bérésina ; pâles et amaigries, comme iL convient à des demoiselles en train de coiffer sainte Catherine, et portant dans leur cœur le deuil de leurs amoureux. 
Grâce au ciel, nous n'en sommes pas là. Napoléon III a fait de grandes guerres; il a livré de grandes batailles; il a remporté de grandes victoires : on ne peut pas dire qu'il ait fait rareté d'hommes; et si l'on épouse moins aujourd'hui, si la population semble di- 

minuer, cela tient à d'autres causes. Nos idées ainsi que nos mœurs ont pris une autre direction. C'est ce que vont nous apprendre les deux figures qui posent là devant nous, sans qu'elles s'en doutent, et que le livret a appelées Demoiselles de la Seine. Demoiselles, oui; car elles ne sont ni mariées ni veuves, cela se voit du premier coup ; elles ne sont pas même promises, peut-être par leur faute, et c'est pourquoi vous les voyez plongées dans leurs réflexions. 
La première est une belle brune, aux traits accentués, légèrement virils, de ces traits qui donnent à une femme de dix-huit à vingt-deux ans des séductions sataniques. Elle est étendue sur l'herbe, pressant la terre de sa poitrine brûlante; ses yeux, à demi ouverts, nagent dans une érotique rêverie. C'est Phèdre qui rêve d'Hippolyte : Dieux ! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts ! 
C'est Lélia qui accuse les hommes des infortunes de son cœur, qui leur reproche de ne savoir pas aimer, et qui cependant repousse le timide et dévoué Sténio. 
Au premier abord, le sentiment qu'elle vous inspire est celui d'une pitié mêlée de crainte. On a une peur instinctive de ces créatures aux passions tantôt concentrées, tantôt bondissantes, jamais assouvies. Il y a en elles du vampire. Puis, à mesure que vous considérez cette tête charmante, étrangement magnétique, 

votre pitié tourne à la sympathie; vous vous sentez fasciné par elle, saisi du démon qui l'obsède. Vous voudriez, au prix de tout votre sang, éteindre l'incendie qui la consume. Fuyez, si vous tenez à votre liberté, à votre dignité d'homme; si vous ne voulez que cette Cir.cé fasse de vous une bête. 
L'autre est blonde, assise, semblable à un buste de marbre. Elle parle cependant; elle s'entretient tout haut avec elle-même; sa compagne ne l'écoute pas. 
Elle aussi poursuit sa chimère, chimère non d'amour, mais de froide ambition. Pourquoi ne serait-elle pas un jour princesse, comme tant d'autres, femme tout au moins d'un archimillionnaire? N'a- t-elle pas la jeunesse, la beauté, l'esprit, les talents? Serait-elle déplacée dans une haute position? Elle vaut bien sa pareille. Personne d'ailleurs ne pourra dire qu'il l'a épousée sans dot; elle a recueilli déjà; elle attend encore quelque chose ; elle a su augmenter sa fortune, bien suffisante pour une femme seule. Elle possède des actions et des titres de rente; elle se connaît aux affaires et suit attentivement les cours. Elle ne joue pas : quelque sotte ! elle opère sur bonnes valeurs achetées à propos, et dont elle sait, avec non moins d'à-propos, se défaire. 
Oh ! on ne la prendra pas au dépourvu; Qlle ne se fait pas d'illusions; le fol amour ne la tourmente pas. Elle saura attendre : tout ne vient-il pas à point à qui sait. 
attendre? Bien différente de son amie, elle est maî- 

tresse de son cœur et sait commander à ses désirs. 
Elle gardera longtemps sa fraîcheur : à trente ans, elle n'en paraîtra pas plus de vingt. D'ici là, peutelle manquer de rencontrer un lord, un prince russe, un grand d'Espagne ou un agent de change? Du reste, à quelque âge qu'elle se marie, elle n'aura pas d'enfants : c'est la première condition qu'une fille prudente met à son contrat de mariage. 
Les Demoiselles de la Seine font pendant et contraste aux Casseurs de pierres; l'un des deux tableaux explique l'autre, le complète et le justifie. Tous deux sont dans la réalité, et tous deux puissants par l'idéal; il suffit, pour s'en convaincre, de s'arrêter quelques minutes à les considérer tour à tour. D'après les principes que nous ayons développés, les deux sujets sont également du domaine de l'art. Demandez-vous cependant, après VQUS être rendu compte de votre double impression, laquelle de ces existences, celle de ces malheureux journaliers ou celle de ces élégantes, vous semble la plus antiesthétique, la plus démoniaque, sinon au point de vue de la misère matérielle, du moins à celui de la misère morale et de ses effroyables débordements. Ces deux femmes vivent dans le bienêtre, entourées de tout ce que les arts de luxe peuvent ajouter de raffinements à l'existence. Elles cultivent ce qu'on appelle l'idéal ; elles sont jeunes, belles, délicieuses; elles savent écrire, peindre, chanter, dé- 

clamer; ce sont de vraies artistes. Mais l'orgueil, l'adultère, le divorce et le suicide, remplaçant les amours, voltigent autour d'elles et les accompagnent; elles les portent dans leur douaire ; c'est pourquoi, à la fin, elles paraissent horribles. Les Casseurs de pierres, au rebours, crient par leurs haillons vengeance contre l'art et la société ; au fond, ils sont inoffensifs, et leurs âmes sont saines. 1 On a fait je ne sais plus quels reproches aux Demoiselles de la Seine. La seconde figure me paraît, à moi, trop effacée. J'aime, je l'avoue, que tout soit rendu et mis en saillie dans une peinture d'expression ; plus le sens m'en paraît élevé et profond, moins je supporte les négligences. Je bais la pochade. Ces réserves faites, je demande si de telles conceptions ne sont pas dans la vraie donnée de l'art : si ce n'est pas du plus haut idéalisme, de cet idéalisme qui, au lieu de s'ériger en religion, double sa puissance en se mettant au service de la philosophie et de la morale. 

CHAPITRE XVI 
De la prostitution dans l'art. — Sévérité de l'école critique. Vénus et- Psyché. 
L'artiste a, comme la nature, la faculté de varier à l'infini les formes qu'il produit. Au lieu de chercher la perfection de la figure humaine, il peut employer toutes les figures ; il le doit, dès qu'elles l'aident à réaliser le but supérieur de l'art : l'éducation du genre humain. En autres termes, son principe doit être : Substitution de l'idéalisme de l'idée à l'idéalisme dej la forme. 
Du premier coup d'œil on saisit l'importance de cette transformation, qu'avait entrevue Rembrandt lorsqu'il disait : Quand je cesse de penser, je cesse de peindre. L'absence d'idée, la faiblesse du principe moral chez l'artiste lui font complètement perdre l'intelligence de ses sujets. Uniquement préoccupé de la forme, pourvu que ses figures soient belles, il s'inquiète peu que son œuvre soit à contre-sens de la vérité ou de la moralité du thème dont il s'inspire. 
J'ai vu, par exemple, bien des Séductions de Joseph, 

bien des Suzanne ah bain; or, je n'ai pas rencontré une seule de ces peintures qui répondît au sujet. 
Pour peu que madame Putiphar soit jolie, on se dit, malgré soi, que Josepli est un sot; et la leçon morale tirée de l'Écriture sainte devient une provocation à l'adultère, par l'agacement même qu'elle cause. D'où vient cet échec perpétuel ? De ce que les artistes n'ont jamais su qu'une chose : éveiller la concupiscence par les yeux, sans savoir le premier mot de ce qu'il faudrait pour commander, par le même moyen, la retenue. 
Quand on est artiste médiocre, on ne se risque pas à de telles difficultés. Le peintre s'est dit, au contraire : Plus ma femme sera belle, plus par cela même ressortira la vertu de Joseph. — Mais cette vertu a besoin d'appui, de motifs, d'une protection d'en haut, c'est-à-dire de la conscience, et vous ne nous le faites pas voir. Il faut qu'à une image lascive il y en ait une autre qui s'oppose et décide le jeune homme. 
Quand les anciens ont peint Hercule entre la Vertu et la Volupté, ils ont compris la difficulté : si la Vertu était absente ou manifestée par un logogriphe, par une belle maxime, Hercule succomberait. Mais qu'ont-ils fait? Ils ont personnifié la Vertu elle-même, ils l'ont montrée au héros dans sa beauté héroïque. Dès lors, tout est dit : Hercule préfère la Vertu : c'est tout simple , elle est plus belle que Vénus même, et nous en ferions tout autant que lui. L'artiste alors serait bien 

malheureux, bien maladroit, si sa Vertu se trouvait moins belle que sa rivale. 
Le même principe doit être suivi pour l'histoire de Joseph. Ici, pas d'allégorie : la femme de Putiphar est une personne réelle, et elle est seule. Que fallait-il lui opposer? L'image de son époux représentée dans l'appartement, Joseph invoquant l'amitié dont il est honoré, reculant devant une trahison, priant d'un. -visage consterné la pauvre femme de rentrer en elle-même, en lui montrant son protecteur, à qui il doit tout. — 
Au lieu de cela, rien : une belle femme presque nue, haletante d'amour, la gorge au vent, sollicitant de la voix, du regard, de la main, un beau jeune homme qui se refuse, on ne sait, on ne voit, on ne devine pas pourquoi ; sans doute parce qu'il avait fait vœu de virginité ! Et pour rendre la situation plus impossible encore, l'artiste ne manque pas de saisir l'instant où il y a IuLte entre les deux personnages, la femme cherchant à retenir de vive force l'inflexible, qui ne craint pas de lui faire violence pour se dégager. Tout cela est absurde. 
Dans Suzanne au bain, l'impossibilité est d'un autre genre. Je n'examine pas si l'on doit s'en rapporter au récit biblique, qui veut que Suzanne, une femme du plus haut rang, un modèle de fidélité conjugale et de pudeur, se soit déshabillée toute nue en plein air, seule dans un jardin, pour se baigner. Je ne puis, 

quant à moi, me figurer Suzanne, pas plus que Lucrèce ou toute honnête femme de notre temps, se mettant en pareil état : toutes se voilent, se dérobent à leurs propres regards. Mais les femmes turques et arabes en usent ainsi, même quand elles se baignent de compagnie. Je passe donc. Voici où commence ma critique. 
Il s'agit d'une histoire sacrée et d'un fait cité en exemple à la jeunesse, à toutes les femmes. Suzanne, en un mot, est une héroïne de chasteté, une sainte. S'il en est ainsi et que l'artiste ait compris son sujet, Suzanne toute nue doit inspirer le respect, et ne pas plus éveiller de pensée immodeste que la Vénus de Milo dans sa nudité surnaturelle'. Alors on ne comprend plus que les deux sénateurs qui l'observent, contenus l'un par l'autre, frappés dans leur conscience, osent faire leur proposition: c'est impossible, c'est hors du cœur humain, il y a contre-sens. Ce viol à deux sur la personne de Suzanne devient incroyable, 
1. Mon compatriote, le sculpteur Huguenin, a senti la vérité de cette observation. Sa Suzanne, s'élançant indignée hors du bain aussitôt qu'elle se croit aperçue, n'est pas la femme molle qui s'abandonne à la Providence. Ses formes, légèrement carrées, sont d'un type très-ferme, très-beau et fort rare, type qui donne à tous l'idée de la femme forte et vertueuse. On sent qu'elle ne se taira pas devant la calomnie, qu'elle saura accuser et faire trembler ses accusateurs. Elle semble dire : Les Lâches ! — Ou a envie de détourner les yeux en la voyant, tant sa dignité impose. Une beauté ainsi conçue se fait respecter de suite : on sent que la volonté, la prudence, la conscience, l'énergie, tout est là. Ce n'est pas le type de la plupart des Suzanne. 

et je n'y crois pas. — Mais nous sommes loin de là. 
Dans les mœurs orientales, dans ces délices trop vantées du harem, la femme qui se montre étant censée faire les avances, on est tenté d'applaudir aux. deux corrupteurs, dont le seul tort en cette occurrence est peut-être de se montrer à deux, tandis qu'un seul eiit » pu réussir. C'est la brutalité des deux hommes qui fait ici la vertu de Suzanne; j'y croirais davantage s'il n'y avait qu'un tète-à-tète. 
Pourquoi les artistes n'ont-ils seulement jamais soupçonné ces diflicultés? Pourquoi tant de tableaux représentant Suzanne au bain, une Suzanne qui. au lieu d'inspirer le respect', provoque le désir? C'est que les artistes, de moins en moins moralistes ou philosophes, ne cherchent plus dans les sujets qu'une occasion de peindre le nu, de montrer des femmes dans une attitude plus ou moins provoquante. 
Le culte de la forme était une tentation à laquelle l'humanité devait succomber plus d'une fois; toujours il a tendu à se substituer au but supérieur de l'art. J1 en est de lui comme d'un général qui, après avoir commandé ses concitoyens dans la guerre contre l'étranger, leur demande la couronne, et, au lieu de consacrer leur indépendance, en fait ses sujets; le but de la guerre cependant n'était pas de produire la royauté ni de récompenser le général, mais d'assurer la liberté. 
L'adoration de la forme arriva à son plus haut de- 

gré d'intensité chez les Grecs, qui l'identifièrent avec leur religion. C'est contre cette idolâtrie que réagit saint Paul en lui opposant son spiritualisme. Le christianisme élève la religion bien au-dessus de l'art. 
Quant à la synthèse qu'ont essayée les artistes de la Renaissance, elle n'a pu longtemps se soutenir; l'idée chrétienne baissant de jour en jour, chez les protestants aussi bien que chez les catholiques, le culte de la forme a repris son absolutisme et règne encore aujourd'hui. 
L'école critique, en subordonnant la forme à l'IDÉE, ne peut tomber dans les méprises que nous reprochons aux artistes qui n'ont pas de principes. Sans nier aucunement le mérite de la beauté, qu'elle peut se donner le plaisir de chercher et de peindre, l'école critique la rend plus variable, plus significative, et elle fait sortir l'art de ce but étroit et puéril qui consistait à faire des figures sans idée, des corps sans âme. Parvenu à cette hauteur, l'art ne peut plus descendre : bon gré, mal gré, à l'avenir, il faut qu'il pense. L'idéalisme de la forme, bien plus tenace que le polythéisme, est définitivement vaincu ; il ne pouvait l'être que par l'idée. 
La beauté ne sera ni avilie ni dédaignée. Seulement, il faut le reconnaître, elle ne règne plus seule; 
elle partage avec l'idée, et sa prérogative n'est même pas la plus grande. L'idée peut subsister par ellemême et sans la beaùté; elle ne lassera jamais. La 

beauté seule n'est rien. C'est ainsi que dans notre société, idéaliste sans doute, mais beaucoup plus rationnelle, positive, critique et pratique qu'il ne semble, une femme vertueuse, intelligente, active, propre, mais sans beauté, trouve vingt maris pour un, tandis qu'une belle personne, si elle n'a que sa figure, ne trouve rien. 
— Ne séparons plus les deux sœurs, je le veux; tâchons que l'idée soit belle et la beauté intelligente : par là nous serons à l'abri de toute déception comme de tout regret. Èais le résultat le plus important du criticisme ou de la substitution de l'idéalisme de l'idée à l'idéalisme de la forme, c'est l'affranchissement de l'art de toutes les atteintes de la prostitution. 
Vaste sujet qui demanderait un livre, et que je me borne à traiter sommairement. 
Il existe un rapport intime entre l'idéal et la volupté; on peut même dire que celle-ci est fille de celui-là : c'est la jouissance goûtée en artiste, idéalisée. L'idéal excite à la possession. Celui qui rêve la beauté veut l'avoir; dès qu'il en jouit, son idéalisme devient volupté. L'art, en tant qu'il a pour objet d'éveiller l'idéal, surtout celui de la forme, est donc une excitation au plaisir. Si la passion qu'il excite est l'amour, c'est un agent pornocratique, le plus dangereux de tous. 
Aussi voyons-nous qu'excepté au moyen âge, oit l'art, réagissant contre l'idolâtrie, s'est fait l'interprète de la spiritualité chrétienne, partout il a été un agent 

de corruption. Il l'est aujourd'hui autant que jamais. 
— Le culte multiplié d'Astarté, Aphrodite ou Venus ; les fêtes orgiaques, dyonisiaques ou bacchanales; les lamentations sur la mort d'Adol\is, les jeux iloraux, les prostitutions sacrées, le priapisme universel, les poésies érotiques, l'amour vulgivague, omnigame, en sont les monuments. Ajoutons encore les théâtres, les danses, le vin, la bonne chère. — 
Ainsi tout se tient : le raffinement des arts amène la corruption. 
La vérité de ce rapport est si vraie, que le même effet se produit chez les raffinés de la dévotion et chez les raffinés de l'art. — Dès l'origine du christianisme, l'idéalisme idolâtrique, awoli quant au dogme chez les néophytes ou païens convertis, prit immédiatement une nouvelle forme, plus licencieuse encore, dans le mysticisme1. Les sectes innombrables des 
1. Nous connaissons tous deux amours. 
L'un, idéal, éthuru, divin, pbit unique, manien, cleste; tous uuua l'avons éprouve : ce qu'il y a de plus héroIque, de plus diviu, de plus idéal. C'est celui-là que la raison et la justice recherchent de préférence, le premier à qui l'on doive des autels. Les lin tirai] les sont délicieuses, divines. Le mariage de la religieuse avec l'époux céleste est une noce spirituelle après laquelle il faudrait que l'âme fùt ravie à la terre. 
Cependant il y a un autre amour sans lequel le premier serait stérile; amour terrestre, fougueux, passionné, reproducteur de la vie, conservateur de l'amour diviu lui-iiiùnie ; par lequel se forme l'amour conjugal, et d'où naît l'amour maternel. — Dans leiual'iage, en effet; existent les deux amours. Il faut l'avouer, nous 

gnostiques, les carpocratiens, les adamites, une foule d'autres, ne faisaient guère que continuer, sous le drapeau du Christ, les mystères de l'amour. Ils sont restés en horreur -dans l'histoire. Les flagellants, les quiétistes ou molinistes sont connus. Tout cela est - bien le résultat de l'idéalisme. L'art moderne ne fait toujours que cela ; il est d'autant plus corrupteur qu'il n'a pas l'excuse de la religion, de la tradition, de l'indifférence publique et qu'il est en opposition formelle avec la pudeur des mœurs et les tendances morales de l'époque. 
Quelle raison de nous donner des Ariane, des Hébé, des Héro, des Sapho, des nymphes? Pourquoi même des Suzanne, des Ève, des Putiphar?
A l'exposition de 1863, que je n'ai parcourue qu'une fois d'un pas très-rapide, il y avait dans la grande salle, à la place d'honneur, une figure de femme nue, couchée et vue de dos, que j'ai supposée être une Vénus Callipyge. Tout en exhibant ses épaules, sa taille souple, sa riche croupe, cette Vénus, par un 
aspirons à. l'un et à l'autre comme au souverain bien. La volupté nous charme, nous enlève de vive force; elle a sa légitimité, son droit; — c'est le démon sans doute, tandis que l'autre amour est l'ange : tous deux 'en lutte, en antagonisme; mais malheur à qui excite le cœur humain au culte de l'un ou de l'autre : il les gàte tous deux. Il faut se taire, n'en parler que par échappées, et se montrer prudent et sohre aussi bien dans l'idéal que dans la passion. 

effort de bonne volonté, tournait la tête du côté du spectateur : yeux bleus et malins comme ceux de l'Amour, figure provoquante, sourire voluptueux ; elle semblait dire, comme les trotteuses du boulevard : Veux-tu venir me voir? 
Cette Callipyge est du réalisme, après tout, — je n'examine pas si elle est bien faite ; — et Cou-rbet ne pourrait la renier si l'art n'avait d'autre principe que de reproduire ce qui lui plaît, sans considération de la fin sociale. Mais comment se fait-il que la police, qui refuse les tableaux de Courbet, ait admis cette immoralité ? 
Toute peinture voluptueuse, dit-on, toute représentation du vice peut avoir, en dernière analyse, son utilité morale. Pourquoi ne pas admettre cette Callipyge au même titre que les Demoiselles de laSeine ?.— Pourquoi? Parce que, dans ce dernier tableau, l'intention morale n'est pas douteuse ; parce qu'à côté du vice idéalisé le peintre a mis le correctif dans cette langueur désespérante qui ronge la malheureuse et qui fait entrevoir ses infortunes. Tandis qu'ici il n'y a aucun préservatif : c'est la Vénus vulgivague dans son triomphe.— Comment rendre une telle peinture morale? Il n'y aurait eu qu'un moyen: c'était de lui mettre un chancre à l'anus. La syphilis et la débauche sont sœurs chez nous ; venez, jeunes gens, et voyez 1 voilà ce qu'il y avait à dire. Mais ici le dégoûtant et l'hor- 

rible eussent fait soulever le cœur et crier anathème. 
C'était impossible. 
Si le jury faisait son devoir quand on lui envoie de pareilles choses, il les renverrait en morceaux. Qu'estce qu'un jury qui n'a pas même le sentiment de la pudeur, à qui il faut apprendre que l'art n'est rien en dehors de la morale? Est-ce que l'Académie des beauxarts, comme celle des lettres, n'est pas sœur de l'Académie des sciences morales?.—Mais de quoi vais-je m'aviser?. On enseigne à l'Académie des sciences morales la doctrine-de Malthus, que l'Académie des beaux-arts montre en effigie. Malthus, ce sont les courtisanes de Pradier et de Clésinger. 
Si le public comprenait l'injure qui lui est faite, il mettrait le feu à l'exposition. Les artistes le traiteraient de Vandale ; il les enverrait à Cayenne. Mais le .public offensé a perdu toute initiative. Quant à la jeunesse, qui se pique d'en avoir une, elle est réellement complice. Elle, qui donne un charivari à M. About, ne fait rien contre les fornicateurs, rien contre ces lascivetés qui déshonorent non-seulement nos artistes, mais notre société et notre pays ; rien contre ce commerce de peintures licencieuses, de gravures et de photographies obscènes qui font de Paris la grande p-rostituée des nations, l'empoisonneuse de l'univers. 
Toutes les expositions abondent en sculptures et peintures de ce genre, qui, m'assure-t-on, se vendent 

très-bien. La demande détermine la production, disent les économistes. Or que recherche surtout la clientèle des artistes? Des sujets licencieux. 
Une femme, riche et galante, demandait à un artiste de lui décorer un boudoir dans lequel elle verrait son image nue reproduite en autant de situations qu'il en pourrait imaginer. Beaucoup d'argent à gagner ; mais quel échec, quelle insulte pour le talent de l'artiste' ! 
Un peintre m'a raconté qu'un jour un personnage haut placé, qui le protégeait, lui dit, après lui avoir payé le tribut d'éloges que méritait une de ses figures : Tout cela est très-joli, mais pas assez gai; vous m'entendez ?. — Fort bien!. 
Les artistes intelligents sont consternés de cette honte, et ne savent qu'y faire. — Un statuaire à qui je demandais, à mon retour de Belgique, ce qu'il faisait, me répondit d'une voix sombre : Je fais des c. I — Il s'associait injustement à la tourbe des prostitués, ministres de la luxure publique. Je n'ai jamais rien entendu de plus terrible. Il faut être Cam- bronne ou un artiste de talent aux abois, pour trouver de ces expressions que la vérité ne peut dissimuler, mais que le talent le plus consommé n'ose répéter. 
1. Si j'avais été le peintre, je lui aurais répondu : Faites votre ménage vous-même, madame; faites-le tous les jours; ayez des enfants ; et vous verrez votre image plus belle que je ne saurais vous la faire. 

Un jour, dans le tableau de Vénus et Psyché, refusé en 1864, Courbet a entrepris de faire par la peinture ce que les moralistes Ézéchiel et Juvénal ont fait par la poésie : la satire des abominations de son temps. Mais les moyens du peintre ne sont pas ceux de l'écrivain. Il n'oserait peindre les phallus des Assyriens et des Égyptiens; il n'oserait montrer Ooliba dans la posture décrite par le prophète : Denudavit quoque fornicationes suas, et discooperuit ignominiam suam; il ne pourrait nous faire voir Messaline à son vingt-cinquième accouplement ; ni cette autre bramant comme une biche en rut à la vue d'un artiste; ni celle-ci pissant, au clair de la lune, contre la statue de la Pudeur; ni celle-là dont il est dit : 
Ipsa medullinse fricturn crissantis adorat. 
Ces choses sont impossibles à la peinture. Le peintre a donc été forcé de prendre un déguisement. Pas le moindre geste indécent, pas la moindre attitude lubrique, pas même de nudité complète. Une blonde endormie, qu'une jeune fille prendra naturellement pour une Psyché attendant l'Amour; une brune arrivant dans la nuit, à pas de loup, et la regardant d'un œil qui peut exprimer la jalousie comme autre chose. 
Les habitants d'Ornans ont dû y voir deux femmes qui, pendant la canicule, ont ôté leurs chemises pour 

être plus à l'aise et ne pas étouffer. D'autres personnes les ont prises pour des baigneuses. 
Il faut être au courant des choses pour comprendre l'artiste. Il faut avoir lu George Sand (Lélia), Théophile Gautier (Mademoiselle de Maupin) : il faut connaître l'hypocrisie d'impudicité de notre époque; il faut se rappeler qu'on a reproché à Courbet de ne pas savoir ," peindre le nu, et que lui reproche à ses critiques de n'estimer dans le. nu que l'image de la volupté. Il faut savoir que Pradier a été appelé le statuaire du quartier Bpeda; qu'aux artistes du premier mérite, qui cherchent la beauté noble, héroïque, on demande te jolies choses, des figures délectantes; que les Lucrèces mourantes fatiguent. Il faut avoir vu les expositions des dernières années ; il faut savoir que M. de Nieuwerkerke a fait acheter à l'empereur une Léda tenant un cygne entre les cuisses. 
C'est à tout ce monde que Courbet dit par son tableau : Vous êtes un ramassis de rufiens et de tartufes; je vous connais, je sais ce que vous voulez et que vos souteneurs vous demandent. Ce n'est pas de peindre le nu que vous vous souciez; ce n'est pas de la belle nature que vous avez faim ; c'est de saleté. 
Tenez, voilà comme on peint le nu, et je vous défie d'en faire autant. Et voilà ce que vous cherchez tous, race de pédérastes et de tribades 

Affranchi du culte absolutiste de la forme, dirige par l'idée, transformé par la critique, épuré par la morale, l'art rentre aujourd'hui dans sa mission naturelle. C'est en France, dans le pays du droit, <jii il devait trouver son équilibre Mais nous laisserons (cllapper encore cette gloire qui nous est offerte. 
L'art, jadis adoré, est destiné de nos jours, s'il poursuit sa route légitime, à éprouver la persécution.
Elle est déjà commencée. Les artistes véridiques sel'ont honnis comme ennemis de la forme, et peut-être punis comme outrageant la morale publique, excitant à la haine des citoyens les uns contre les autres. 

CHAPITRE XVII V 
Les Curés, ou le Retour de la Confér'I'I.
La police, On ne s'attendait guère A la trouver en cette affaire, 
la police donc, puisque, pour nos pécliés et par notre sottise, elle se fourre partout, a vu, dans le tableau dont nous allons rendre compte, une haute impiété : d'un côté, outrage à la morale religieuse, d'autre part, excitation au mépris d'une classe de citoyens, fonctionnaires publics, dans l'exercice de leurs fonctions. 
En conséquence il a été décidé, par ordre supérieur, que ledit' tableau serait exclu de l'exposition. Or, quand la police, quand l'autorité chez nous dit une chose, il ne manque pas de personnages, soi-disant graves, gens d'esprit de profession, préposés ou auxiliaires officieux .de la censure, affidés du saint-office, qui des deux mains applaudissent. Je n'ai point à critiquer ici la mesure prise contre le tableau de Courbet par l'autorité. Lorsque l'autorité fait une chose, le respect nous commande de supposer qu'elle 

avait des raisons suffisantes pour la faire. En dehors de la question d'art, il y a la politique. Mais on attribue à un écrivain de la presse périodique ce gement, bien autrement sévère que l'exécution silencieuse de la police : « Le tableau de M. Courbet est une mauvaise action. » Voilà le gros mot lâché, la police, à tous les points de vue justifiée : la conception d'un artiste, la plus extraordinaire peut-être dont il ait jamais été fait mention dans les fastes de l'art, déshonorée. Il est heureux pour Courbet qu'on lui ait interdit la publicité : sans cela, vous les eussiez vus tous, ces entrepreneurs de critique, fruits secs de la littérature et de l'art, faiseurs et défaiseurs de réputations, s'en venir l'un après l'autre, comme les chiens de Pannrge, lâcher leur urine sur une œuvre dont ils ne sont pas même capables de saisir l'idée. 
Quoi! ce serait pour satisfaire une vaine pensée de médisance, pour exciter l'hilarité d'un public grossier. 
indigne d'être appelé voltairien, qu'un homme, à qui l'on ne refuse après tout pas plus le bon sens que le talent, aurait bâti cette vaste machine, alors qu'il lui suffisait d'un pied carré de toile ; ce serait pour foudroyer une peccadille de trois ou quatre malheureux curés de village qu'il aurait lancé ce coup de tonnerre ! Des ecclésiastiques de campagne se sont réunis pour conférer entre eux des choses de leur ministère ; la conférence finie, ils se sont mis à table; la conver- 

sation s'animant, les plus vieux ont pris une pointe. 
Une fois en chemin pour s'en revenir, le grand air les a étourdis; on devine le reste. Vraiment, si c'est là tout ce que l'artiste a voulu nous apprendre, il s'est trop donné de peine, et c'est fort inutilement qu'il a dépensé son génie et ses veilles. 
Mais, hâtons-nous de le dire, il s'agit ici de bien autre chose. Ce qu'a voulu rendre Courbet, ce n'est point une scène plus ou moins risible d'ébriété; ce n'est pas même le contraste, relevé avec malice, entre la gràvité sacerdotale et une infraction aux lois de la tempérance : tout cela est du lieu commun le plus fade, indigne, je le répète, des honneurs de la grande peinture. Ce qu'a voulu montrer Courbet, à la façon des vrais artistes, c'est l'impuissance radicale de la discipline religieuse, — ce qui revient à dire de la pensée idéaliste, — à soutenir dans le prêtre la vertu sévère qu'on exige de lui; c'est que la perfection morale cherchée par la foi, par les œuvres de dévotion, par la contemplation d'un idéal mystique, se réduit à de lourdes chutes, et que le prêtre qui pèche est victime de sa profession, bien plus qu'hypocrite et apostat. 
Qui ne voit ici que l'idée d'une semblable composition ne pouvait tomber dans le cerveau d'un artiste que le jour où l'art, si longtemps esclave de son idéalisme dogmatique, aurait brisé sa chaîne, et, par la conscience définitivement acquise de son principe et 

de sa destinée, aurait obtenu l'intelligence de l'idéal religieux, sous tant de rapports semblable à l'idéal des anciennes écoles? Le Retour de la conférence est essentiellement de notre époque : il y a vingt-cinq ans, comme il y a vingt-cinq siècles, il était impossible. 
Le prêtre, pour son malheur, est, comme l'artiste romantique et classique, adorateur de l'idéal et de l'absolu ; il n'en est pas le metteur en œuvre ; il n'est pas le maître de son idée, pas plus que de ses impressions; il en est l'esclave; c'est ce qui fait sa misère morale, et tôt ou tard amène une chute honteuse. Son dogme consiste à nier la vertu de l'homme et l'efficacité de sa conscience, absolument comme l'artiste classique en nie la beauté; à mettre toute sa confiance dans la grâce divine, qui seule peut le préserver de la tentation; semblable encore en cela à l'artiste qui fuit le secours de la réflexion et de la science, et ne compte que sur l'inspiration. Si bien enfin que, tandis que l'artiste arrive à l'impuissance par son idéal, le prêtre, dontja vie doit servir de modèle à ses frères, aboutit à l'immoralité par la théologie. C'est en vàin qu'il invoque, dans son ardente prière, l'Esprit de vie èt de sanctification : Veni, creator Spiritus; il n'en sera pas visité; il ne doit s'attendre à aucun reconfort. Car le principe de notre vertu est en nousmêmes, n'attendant pour se développer que le service de ses deux puissants auxiliaires, le travail et l'étude. 

Quiconque méconnaît cette vérité cherche le péril et succombera infailliblement. Mais la vie parfaite, selon l'Église, est une vie de contemplation et de foi; les fonctions du ministère sacré ne sont pas de l'action, mais de l'adoration; la théologie n'est pas une science, c'est un mystère. Certes, la vertu sacerdotale, là où elle se rencontre, est admirable; elle tient du miracle: mais, de même que l'art qui se livre à la tyrannie de l'idéal, elle repose sur le vide, et c'est ce qu'a supérieurement observé Courbet. Entre le prêtre, dont la conscience n'est affermie qu'en Dieu, et l'artiste, dont le génie ne se repaît que d'idéalités formelles, spirituelles, d'idoles, l'analogie est complète : ils périront l'un et l'autre de la même dissolution. 
La scène qu'a représentée Courbet en est un exemple. 
Est-ce que des membres de l'Institut, dînant ensemble à la suite d'une discussion, se griseraient? Le fait est possible; il ne se suppose pas. Et quand, par hasard, ce petit malheur serait arrivé à l'un d'eux, que s'ensuivrait-il, soit pour la moralité du personnage, soit pour le scandale donné au public? Absolument rien : ce serait comme la colique, l'indigestion, le rhumatisme, un accident qu'on ne relèverait même pas. Tant nous sommes convaincus, dans notre for intérieur, que le péché n'approche que très-difficilement l'homme d'action et d'idée. Travaillez, pensez, méditez, observez, aimez dans la mesure des affections lé- 

gitimes, et les séductions de la chair et de l'idéal seront impuissantes contre vous : Non appropïnqualrit ad te malum; vous résisterez aux assauts de la concupiscence et de l'orgueil, -et conculcabis leoncm et draconem. Je vais plus loin : supposez qu'une fois, par exception, ces mêmes ecclésiastiques se réunissent pour traiter d'affaires temporelles, soit politiques, soit industrielles, soit scientifiques ; ce jour-là, soyez-en certain, il ne leur arrivera pas malheur. Qu'est-ce donc qui les rend si faibles? qu'est-ce qui les entraine à ces écarts de régime, sujets de raillerie pour les paysans? C'est qu'avant de se mettre à table ils ont, pendant une ou deux heures, parlé de théologie. Aussi pourquoi se moque-t-on de leur intempérance? Précisément parce que, dans la sincérité de leur âme, ils ne sont occupés que de Dieu et de la religion. Là est la supériorité morale de la science profane sur la science sacrée, de l'action sur la contemplation. 
Voyons maintenam. dans ses détails le tableau de Courbet.
Chacun sait que le clergé rural est astreint par ses règlements à des conférences mensuelles ayant pour objet d'entretenir l'esprit de corps parmi les ecclésiastiques d'un même canton et de les exercer à la discussion des questions théologiques. Ces réunions pieuses, qui ont lieu tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, sont naturellement suivies d'un banquet con- 

fraternel, espèce de pique-nique, où les épanchements de l'amitié succèdent aux ardeurs de la controverse. 
Dans ces rapprochements, qui forment certainement le meilleur de la vie sacerdotale-dans les campagnes, les esprits s'animent, les cœurs se dilatent, tout se réunit pour donner au repas son plus grand entrain. C'est l'effet de cette joie, semi-religieuse, semi-épicurienne, idéaliste et par conséquent sensuelle, que l'auteur du tableau a voulu peindre au vif, en représentant un groupe. de prêtre rentrant au logis à la sortie d'une conférence cantonale. 
La scène se passe en Franche-Comté, dans la plus belle vallée du Jura, la vallée de la Loue. Au premier plan on voit un groupe de quatre prêtres, dont l'un, incapable de traîner sa vaste corpulence,* a été hissé sur un âne, qui plie sous le faix. C'est le doyen ; il compte quarante années de services; depuis longtemps il a passé l'âge de ferveur; son front insoucieux, ses lèvres lippues, son œil en ce moment quelque peu lubrique, son port de Silène décèlent un joyeux convive parvenu, dans cette existence somnolente, idéaliste eL sensualiste tout à la fois du curé de campagne, à un haut degré de matérialisation. On ne sait vraiment où peut se tenir l'âme dans cette épaisseur de chair. 
Excellent homme au fond, qui ne compte pas un ennemi parmi ses paroissiens. Il est soutenu à gauche (la droite du spectateur) par un jeune vicaire qu'on pren- 

sdrait pour son fils, si ce n'était plutôt son neveu; bellâtre montagnard, giton de sacristie, miroir à dévotes, cherchant avant tout, dans la carrière ecclésiastique, les joies positives du bien-être, de la vie abritée et d'une confortable dévotion. Peut-être cet intéressant lévite, à la mine prospère, mais décente, n'a-t-il pas encore conscience de tous les vices que le peintre véridique a fait jouer sur son visage. Ne vous y fiez pas cependant : ses joues potelées, ses yeux roulants, ses formes arrondies n'en disent que trop, et la police correctionnelle nous fait de temps en temps d'effrayantes révélations. A droite est un curé d'âge mûr, mais vif et vert, à lunettes bleues, au teint bilieux, figure de fouine ou de diplomate, Talleyrand rustique, qui retient par le bras le Silène chancelant. Prudent et expérimenté, il comprend les inconvénients du scandale, et voudrait sauver au moins les apparences. Aussi voit-on qu'il ne pardonne pas à son vieux confrère son état d'ivresse. — Buvez tant que vous voudrez, semble-t-il lui dire; mais restez chez vous et allez vous coucher ! 
— A la bride de l'âne est un abbé de bon ton, l'hôte du château et des bonnes maisons du pays, adoré des dames, faisant de la musique avec les demoiselles, au 
bréviaire doré, aux souliers bouclés, au bas bien tiré, confesseur de comtesses, ecclésiastique du monde à destination spéciale, aspirant évêque. La médisance ne l'atteint pas encore; il baisse la tête, comme s'il vou- 

lait se dérober aux regards, et s'efforce, en entraînant l'âne rebelle, d'abréger ce voyage, qui met sa pudeur au supplice. 
Derrière ce groupe marche un séminariste, à la figure candide, plein d'une ferveur juvénile, et dont l'ambition secrète, que jusqu'à présent il n'a confiée qu'à Dieu et à son confesseur, est de se consacrer aux missions lointaines, et qui rêve le martyre. Un peu décontenancé par ce qu'il voit, il soutient avec une sollicitude pleine de charité un vieil ecclésiastique trébuchant et frappant la terre de sa canne; comme s'il venait de pourfendre d'un argument péremptoire les hérétiques, les philosophes, les juifs et tous les ennemis de l'Église. A côté d'eux, et -pour compléter ce deuxième groupe, s'avance carrément un curé d'un type à part : c'est le prêtre herculéen, taillé à angle droit, terrible de visage, admiré des paysans pour la rudesse de ses allures, buvant, fumant et jurant, exerçant sur ses paroissiens un ascendant irrésistible par son énergique vulgarité. Les fonctions de sa modeste cure, l'administration de sa fabrique ne suffisent pas à sa puissante activité. Il a fait irruption dans le temporel;  il s'est jeté dans les œuvres profanes ; il plante, il cultive, il exploite, il entreprend, il trafique, il spécule, il soumissionne; il est marchand de bois, de grains, de liquides, de chevaux. Transportez par la pensée cette vigoureuse et inflexible nature au douzième siècle : ce 

se:a, pour peu que les circonstances le favorisent, un Pierre de Castelnau, un saint Dominique, un Àmaury.
JI sera fondateur de l'inquisition, il marchera à la tète de l'armée croisée contre les hérétiques, ordonnera le massacre des populations insurgées, sans distinction d'âge ni de sexe. De quelle voix il eût fulminé l'anatiièrne : Hors de l'Eglise point de salut 1 — Tuez tout : Dieu reconnaîtra les siens !. Il a plu à la Providence de le faire naître au dix-neuvième siècle, après Voltairc et la Révolution, quand hrpliilosophie et le droit de l'homme ont établi partout leur prépondérance : ce n'est qu'un pauvre curé de campagne dont la fougue s'exhale dans des affaires de maquignonnage ou d'insipides conférences, inter pocula. Oh! si le bon Dieu savait tirer parti de ceux qui l'aiment!. Ce qui l'indigne en ce moment est la pauvreté de moyens de ses confrères: — Femmelettes! fait-il d'un geste de Silprême dédain, qui ne savent porter un verre de vin ! — 
Et son mouvement est si brusque que son chapeau a sauté à terre et que le chien du doyen jappe contre lui de détresse. 
A distance respectueuse vient le groupe des servantes, auxiliaires de la cuisinière du banquet, et qui rapportent sur leurs têtes, dans des paniers, quelques bons restes pour le déjeuner dn lendemain. La servante du prêtre est un de ces êtres indéfinissables qu'on ne rencontre que dans le monde de l'idéal : ni concubine 

ni épouse, mais plus que domestique; disgracieuse, béate, à la démarche équivoque, à l'œil louche, qui a sa part d'influence dans le gouvernement spirituel du troupeau, triste associée de ce triste berger d'hommes. 
Toute cette troupe passe devant un vieux hêtre, dans une excavation duquel est placée sous grille une statuette de la Vierge immaculée. La piété des populations, excitée par le clergé, a multiplié les croix et les images pieuses à travers les campagnes, au bord des chemins, dans tous les carrefours. Ainsi le prêtre, vivant à l'ombre du clocher, près des sépultures fidèles, entouré d'images saintes, de vases consacrés, de signes bénits, d'objets de toutes sortes formant le mobilier du culte, sacré lui-même de la main de l'évêque; le prêtre, dont tous les instants doivent être marqués par une élévation de cœur vers Dieu, qui à chaque pas est rappelé à la sainteté de sa vocation par les monuments que lui-même a érigés de ses mains, ne peut faire un pas sans s'exposer à outrager mortclle✓ment sa religion; pour peu que sa vigilance se relâche, sa vie ne sera qu'un long sacrilège. 
Tout à fait à gauche du tableau, et comme pour en exprimer la moralité, se trouvent un paysan et sa femme, piochant la terre au bord de la route sur laquelle ils voient venir à eux le cortège, et distraits un moment de leur travail par le spectacle auquel ils assistent. Le paysan, grossier, illettré, n'en est pas moins 

de son époque. Il n'a rien lu, il ne demande point à rien lire : ni Voltaire, ni Rousseau, ni Dupuis, pas plus que le docteur Strauss ou M. Renan. Philosophes, théologiens, artistes lui font également pitié. Sans avoir rien appris, il hante peu l'église. Esprit positif et pratique, comme le Martin de Candide, il a perdu la foi au ciel et l'estime du clergé. Ce n'est pas lui qui risque de s'égarer dans les rêveries du piétisme et les sublimités de l'idéal ; il va droit au fait et à la chose ; c'est le réalisme fait chair. Qui travaille p1?ie 1 je ne sais qui lui a soufflé à l'oreille que ce mot était du Nouveau Testament; il se l'est tenu pour dit. A la vue des saints hommes en goguette, devant ce foudroyant contraste entre la spiritualité présomptueuse du ministre de l'autel et la réalité bachique de son existence, il est pris d'un rire fou ; et ce rire, dont l'implacable rusticité vous choque, n'en est pas moins communicatif; impossible, après quelques minutes d'examen, de s'y soustraire. L'homme le plus grave, le plus indulgent, le moins porté à la satire, comparant le prêtre tel que le veut son institution avec ce que le fait la fatalité d'une existence contradictoire, ne peut s'empêcher de penser que le bon Dieu, en instituant le sacerdoce pour le blanchiment des consciences, a voulu se donner la comédie. Quant à la femme du paysan, dominée par les enseignements de son enfance, fidèle au divin amour, mais douloureusement affectée par ce 

dont elle est témoin, elle prie Dieu de pardonner à ses fragiles ministres, qu'elle promet d'écouter toujours comme les dispensateurs de ses grâces, investis par lui-même du pouvoir de lier et d'absoudre. 
Remarquez les oppositions que l'artiste, sans les chercher, a répandues dans son œuvre : la vulgarité de la scène contrastant avec la beauté du paysage; le comique de la situation avec la gravité de la profession ; la superstition de la paysanne avec l'indévotion de son mari ; l'âne avec celui qui le monte, etc. Le paysan, trapu, osseux, couleur de terre, ajoute, par son hilarité triviale, au scandale donné par les hommes d'église, aux corps bien nourris, aux joues potelées et relevées de vermillon. La femme, carrée, courtaude, déprimée dans son corps et dans son âme, créature sacriliée, n'est point faite, il s'en faut, pour relever par l'idéalisme de sa personne l'iiiconduite des acteurs principaux. Qui dira ce que pensent, ce que sentent ces servantes de curés, êtres neutres, en qui l'air de la sacristie a tué, avec la piété vraie, tout sentiment féminin? Cela n'a ni cœur ni âme : vieilles filles qui ont appris le vice sans l'amour, la bigoterie sans la religion. La plus étonnante figure du tableau est peut-être celle de l'âne, qu'on serait tenté de déclarer le plus raisonnable de tous, zûon logicon, si son humeur récalcitrante m nous avertissait qu'il est incurable dans son ânerie, et qui semble placé là pour symboliser l'abêtis- 

se nient de l'homme par le transcendantalisme de la foi. 
Mais ce que nous ne devons pas oublier, à peine de perdre le sens du tableau et d'en fausser complètement l'effet aussi bien que l'intention, c'est que ces prêtres sont tous sincères dans leur religion. Ils ont la foi de Jésus-Christ, ne vous y trompez pas ; à part le doyen et son neveu, signales comme douteux, les autres sont de vrais et zélés croyants. Ce qui les distingue entre les mortels est cette alliance d'une vertu si fragile avec l'énergie d'une croyance qui semble faite pour tout dompter, les passions et la chair, le monde et le diable. Telle est l'inévitable réaction de la nature contre l'idéal : à force d'exciter en eux l'amour des choses célestes, ils sont tombés dans le sensualisme. L'esprit du siècle, esprit de mollesse et de volupté, les a saisis; ils aiment à bien vivre et à rien faire ; ils pèchent avec leurs pénitentes, leurs ouailles, et ils ont appris à n'en pas beaucoup rougir. Nous sommes hommes comme les autres, disent-ils avec une tranquille humilité ; ce n'est pas une raison pour injurier notre foi et nous accuser d'hypocrisie. Et plus ils pèchent, plus ils s'imaginent se sauver par la pratique de leurs sacrements et la méditation de leurs mystères, jusqu'au jour où, le'démon du quiétisme s'emparant d'eux tout à fait, ils laissent de côté tout à la fois les exercices de la piété et les prescriptions de la morale. 
S'il n'existait pas une raison supérieure à toute foi 

religieuse, une morale plus haute que celle des cultes autorisés par les lois; si, comme autrefois, l'Église était la mère et la providence de l'État, certes, le tableau de Courbet serait d'une haute inconvenance : en montrant au grand jour les peccadilles du sacerdoce, il ébranlerait les fondements de la morale, et l'on aurait eu raison de le proscrire. Mais depuis la Révolution le rapport entre la religion et la société a été changé ; le législateur a pris sous sa protection"le pontificat; le droit de l'homme s'est fait juge et maître du droit canon; la morale s'est posée comme une dictée de la conscience, non plus comme un ordre d'en haut; en sorte que la question de savoir laquelle offre le plus de garantie, d'une vertu fondée sur la droite raison ou d'une vertu établie sur l'idéal, s'est fatalement posée, et que la liberté de la discuter est devenue un article de notre droit public. Que dis-je? la question est implicitement résolue contre l'Église par la constitution du pays ; et quand Courbet a composé son tableau, il n'a fait que se rendre l'interprète de la loi et de la pensée universelle. Son œuvre avait droit de bourgeoisie à l'Exposition, droit à l'Académie et au Musée. 

CHAPITRE XVIII 
COURBET : sa personnalité. — Mes réserves. 
J'ai passé en revue les principales œuvres de Courbet, et j'en ai dit mon appréciation au point de vue de l'IDÉE. Je n'ai pas insisté sur les défauts de ses ouvrages : le manque de perspective et de proportions; certaines teintes noires uniformes, comme dans le tableau des Curés; des exagérations telles que le rire du paysan, un peu forcé; certaines négligences qui trahissent le débraillé; une tendance à la charge, qui est dans le génie de l'homme; de la brutalité parfois; quelque chose de choquant provenant, selon moi, de ce qu'il n'a pas la haute conscience de son art el de son principe. Je n'entends donc pas me faire son apologiste quant à ce qui est du métier : je n'ai aucune autorité pour cela. Je reste sur mon terrain, la pensée de l'œuvre et de l'école; et c'est pourquoi, avant d'aller plus loin, je tiens à dégager mon idée de l'homme. 
Un jour, lorsque je commençais à m'occuper de ce livre, je dis à Courbet que je prétendais le connaître 

mieux que lui-même; que je l'analyserais, le jugerais et le révélerais au public et à lui tout entier. Cela parut l'effrayer: il ne douta pas que je ne commisse faute sur faute; il m'écrivit de longues lettres pourm'éclairer, lettres qui m'ont appris fort peu de choses, et me lit. sentir que je n'étais point artiste. A quoi je répliquai que j'étais artiste autant que lui : non pas artiste peintre, mais artiste écrivain, attendu qu'il m'était fréquemment arrivé dans mes ouvrages de faire trêve momentanément à la dialectique pour l'éloquence; et, comme l'art est le même partout, que je me croyais parfaitement compétent dans la question. Ceci parut le calmer un peu , et il ne songea plus qu'à se faire connaître à moi tel qu'il croit être, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que ce qu'il est. 
Courbet, plus artiste que philosophe, n'a pas pensé tout ce que je trouve : c'est tout simple. Assurément il n'a pas conçu son sujet des Curés avec la puissance que j'y vois et que j'indique. Je crois qu'il a eu l'intuition de son principe en peintre, en vertu de son innéité, non en penseur, à plus forte raison en philosophe. Il a beaucoup hésité et varié dans son expression. Mais, en admettant que ce que j'ai cru voir dans ses figures soit de ma part illusion, la pensée existe ; et comme l'art ne vaut que par ses effets, je n'hésite pas à l'interpréter à ma manière. Si j'exagère ,son importance comme penseur, il n'y a pas de mal : cela sert du moins à faire 

comprendre à rues lecteurs ce que je veux et que je cherche. 
Courbet est un véritable artiste, de génie, de mœurs, de tempérament, et, comme tel, il a ses prétentions. 
ses préjugés, ses erreurs. Tout d'abord il se croit, à l'exemple de ses confrères, un homme universel. — Il faut en rabattre. Doué d'une vigoureuse et compréhensive intelligence, il a de l'esprit autant qu'homme du monde' malgré cela il n'est que peintre ; il ne sait ni parler ni écrire; les études classiques ont laissé peu de traces chez lui. Taillé en hercule, la plume pèse à sa main comme une barre de fer à celle d'un enfant. — Quoi- 
qu'il parle beaucoup de série, il ne pense que par pensées détachées; il .a des intuitions isolées, plus ou moins vraies, quelquefois heureuses, souvent-sophistiques. Il paraît incapable de construire ses pensées ; en cela encore il est purement artiste 
Dans ses généralisations irréfléchies, il croit que tout est changeant, la morale comme l'art ; que la justice, le droit, les principes sociaux sont arbitraires comme ceux de la peinture, et que lui, libre de peindre ce qu'il veut, l'est également de suivre les coutumes, de s'af- 
1. Le logicien et l'artiste sont en antithèse, les deux extrêmes; mais, précisément pour cette raison, ils se comprennent et même se ressemblent. Ils sont l'un et l'autre comme l'idée et l'idéal; le même bon sens les gouverne et les sauvp. 

franchir des institutions : en quoi il se montre aussi peu avancé que le dernier des artistes. Ceci prouve tout simplement que chez lui, comme chez le commun de ses confrères, l'idéalisme prévaut sur les hautes facultés sociales, et que sa vertu est faible. 
Il se fait encore l'apologiste de l'orgueil ; en cela, il se montre tout à fait artiste, mais artiste de second ordre ; car, s'il avait la sensibilité supérieure, il sentirait esthétiquement que la modestie a son prix ; que si elle est quelquefois une hypocrisie, elle ne l'est pas toujours. La modestie est une des choses les plus délicates qu'il soit donné à l'homme de goûter; celui en qui le sophisme a étouffé ce sentiment n'est plus un homme : c'est une brute. 
Je me suis permis cette petite digression, étrangère à l'art, parce que j'ai remarqué chez Courbet une certaine loueric, commune à beaucoup d'autres : il s'efforce de tout amener à ses idées ou d'étendre ses idées sur des choses qu'il comprend mal et qui ne sont pas niables; en revanche, il érige volontiers en maxime la négation des choses qui sont au-dessus de lui. 
Revenons à notre sujet, l'art, les principes. 
On peut définir Courbet : Une grande intelligence dont toutes les facultés sont concentrées en une seule. 
S'il avait pu se catégoriser, il serait plus logicien qu'artistc.. Rien d'étonnant qu'à l'heure qu'il est, il se cherche encore lui-mrnie et ne se connaisse qu'à 

moitié. Aussi aurais-je force réserves à faire sur ses maximes en fait d'art. 
Par exemple, Courbet ne veut pas que l'artiste tra- 
vaille sur commande. Ce précepte, qui montre combien il tient à la spontanéité et à l'indépendance, ne peut s'accepter d'une façon absolue. L'artiste, en vertu de sa faculté esthétique, doit savoir comprendre et sentir ce qui plaît aux autres, le reproduire en le rectifiant et l'embellissant, : sans cela il n'a pas toute l'étendue de sensibilité que suppose l'art. 
Sans condamner formellement le passé de l'art, Courbet veut qu'on le mette de côté et qu'on ne s'en occupe plus. Le passé, dit-il, ne peut servir que comme éducation ; on ne doit s'inspirer que du présent dans ses œuvres. Je n'accepte pas cette conclusion, moyen commode de se poser soi-même en prince de l'art et artiste unique. L'humanité ne doit rien perdre de ses idées et de ses créations; elle accumule ses richesses et se sert de tout. Il faut marcher, mais en tout conservant. Je reviendrai sur cette idée; je me contente, quant à présent, de poser mes réserves. 
Courbet se dit le plus personnel et le plus indépendant des artistes. Oui, indépendant de tempérament, de caractère, de volonté, comme les enfants gâtés qui ne font que ce qu'ils veulent. Oui, personnel en ce sens qu'il est trop souvent occupé de lui-même et quelque peu fanfaron de vanité : ce qu'il y a de plus répréhen- 

sible dans ses peintures, c'est justement ce qui laisse voir sa personnalité à lui. Il a fait un tableau purement  -.personnel dans son Allégorie réelle, qui ne vaut pas mieux que ses Filles de. Loth. L'originalité de-l'artiste se montre dans le choix des sujets, la manière dont il les conçoit et les exécute. Ceci accordé, Courbet fait comme tous les vrais artistes : il s'identifie avec son idée, la creuse, ne songe plus qu'à elle et en fait une représentation d'autant mieux réussie, qu'elle est plus 'impersonnelle et qu'elle plait à plus de monde. Le peintre, comme l'historien, le poëte, le dramaturge, le' romancier, le comédien, doit s'effacer derrière ses personnages. 
Tout en reconnaissant à Courbet les caractères d'un initiateur, je ne puis admettre sa prétention d'avoir révélé à l'art des horizons complètement inconnus jusque-là. D'abord le génie ne se produit jamais isolé : il a ses précédents, sa tradition, ses idées accumulées, ses facultés grossies et rendues plus énergiques par la foi intense des générations; il ne pense pas seul dans un individualisme solitaire : c'est une pensée collective » grandie par le temps. En second lieu, l'école française va dans la même direction que Courbet, sans que ni lui ni elle, peut-être, l'aient su. C'est par la peinture de paysage et d'animaux qu'elle revient à la nature et aux choses de la démocratie. Il suffit de citer les noms les plus connus : Rousseau, Fromentin, Daubigny, Corot, 

Barye, Rosa Bonheur, Marilliat, Millet, Brion : tous doivent aboutir au criticisme. 
Courbet n'a inventé ni réalisme ni idéalisme, pas plus que la nature. Ce qu'il fait a été fait avant lui ; il l'est aujourd'hui par d'autres que lui, souvent ses rivaux, quelquefois ses vainqueurs. Tout ce qu'on a dit à - son occasion et qu'il a débité lui-même est dépourvu de bon sens1. 
J'ai entendu Courbet appeler ses tableaux des allégories réelles : expression inintelligible, d'autant plus qu'elle le mettait en contradiction avec lui-même. 
Quoi ! il se dit réaliste, et il s'occupe d'allégories ! Ce mauvais style, ces définitions fausses lui ont fait plus de tort que toutes ses excentricités ; il est réaliste, et il revient par l'allégorie à l'idéal- La vérité est que, comme je l'ai dit déjà, Courbet, dans son réalisme, est un des plus puissants idéalisateurs que- nous ayons, un peintre de la plus vive imagination. Je n'en voudrais comme 'preuve que son Combat de cerfs, pour l'exécution duquel ces animaux n'ont certes pas posé devant lui. Son petit 
1. Courbet m'écrit que l'art de l'idéal gouverne les deux tiers des mortels : en quoi il a raison. Il demande qu'on combatte l'idéal : "en quoi il a encore raison. Mais il ne se doute pas qu'en combattant l'idéal je fais passer la majorité du genre humain des rangs de l'idéal dans ceux de la science et du droit, que je deviens son maître, et qu'il n'est plus, lui et tons ses confrères, que mon collaborateur subalterne. 

Pêcheur de chavots serait universellement admiré s'il pouvait être compris : c'est une scène de la vie des enfants d'Ornans pêchant avec une fourchette, de petits poissons dans la Loue, et qui fera merveille sur la fontaine qu'on doit bâtir au milieu de la ville. L'idéalisme de Courbet est des plus profonds; seulement il n'a garde d'inventer rien. Il voit Pâme à travers le corps, dont les formes sont pour lui une langue, et chaque trait un signe. 
Courbet, en effet, saisissant les rapports de la figure corporelle et des affections et facultés de l'âme, de ses habitudes et de ses passions, s'est dit : Ce que l'homme est dans sa pensée, son âme, sa conscience, son intelligence, son esprit, il le montre sur son visage et dans tout son être; pour le révéler à lui-mêmt', je n'ai besoin que de le peindre. Le corps est une expression; par conséquent la peinture qui le représente et l'interprète est un langage. Un philosophe ferait une psychographie ; je ferai un tableau. Déshabillons cet homme, et nous allons voir. Voilà le réalisme de Courbet : la représentation du dehors pour nous montrer le dedans. Mais cette représentation n'est plus un simple portrait, une photographie, pas plus que la Vénus de Praxitèle; elle se compose de traits recueillis et combinés ensemble d'après l'observation des' réalités : en cela, c'est une pure idéalisation. Dans la Baigneuse, la beauté féminine idéale est sous-enten- 

due; ce n'était pas ce que l'aitiste voulait mettre en lumière; ce qu'il a voulu montrer, c'est l'âme bourgeoise. Pour mieux faire ressortir son idée, il a composé une figure idéale, au moins en ce sens; et cet idéal est fulgurant, il étonne, il consterne. Voilà comment Courbet marie ensemble ces deux éléments, l'idéal et le réel, l'imagination et l'observation. Si j'étais ministre, ambassadeur ou empereur, je me garderais de me faire peindre par lui. 
En résumé, Courbet, peintre critique, analytique, synthétique, humanitaire, est une expression du temps. 
Son œuvre coïncide avec la Philosophie positive d'Auguste Comte, la Métaphysique positive de Vacherot, le Droit humain, ou Justice immanente de moi; le droit au travail et le droit du travailleur, annonçant la fin du capitalisme et la souveraineté des producteurs ; la phrénologie de Gall et de Spurzheim ; la physiognomonie de Lavater. Il doit immensément au bonheur qu'il a eu de vivre à Ornans; s'il était né, s'il avait grandi dans une Académie, il ne serait pas lui-même. 
C'est la liberté qui lui a enseigné sa voie Il a mis la 
1. Chose à remarquer, et qui témoigne du vice universel des ecoles, des méthodes, traditions, dont on ne peut nier l'utilité générale, mais qui deviennent trop souvent aussi des routines, des causes de préjugés, des chaînes pour l'esprit : c'est là que se perpétuent les erreurs, que se constitue l'immobilisme, l'esprit de résistance; les solidarités entre talents médiocres, les coteries, les intrigues, dont la plus haute expression se trouve dans les Aca- 

main sur une pensée haute et féconde; il n'a pas su encore la dominer, l'énoncer, bien qu'il l'ait servie avec éclat. Cette pensée, on le voit, l'a rempli ; elle lui a donné dans les commencements une vanité folle, dont tout le monde a parlé, mais qui, aussi joyeuse que naïve, a fait douter de l'homme et de son idée, et empêché presque de les prendre au sérieux. 
Puis, la contradiction et une ardente polémique sont venues ; elles ont poussé Courbet jusque dans les voies de l'excentricité et du paradoxe. Trop exalté par des gens qui ne l'ont pas compris, trop abaissé par d'autres qui ne le comprennent pas du tout, il a eu le malheur de n'être pas, dès le premier jour, classé et 
démies. (Voyez surtout l'Académie française, celle des Beaux-Arts
et celle des Sciences morales.) Ou ne sait lequel est le plus funeste à l'art, de l'appui du pouvoir ou de ses gènes, dus écoles et académies ou de la liberté. Je ne voudrais point de professorat, pas de Conservatoire (mot atroce; des maîtres tout simplement et des apprentis qui restent libres. Le professorat et l'école ont abouti à la dissolution complète, à la négation de tout principe et de toute règle, tandis que la liberté pure a fait trouver à Courbet ses véritables lois. Or l'absence de principes est servitude, — LES RÈGLES SONT LIBERTÉ. 
L'écrivain et l'artiste ne se sèment ni ne se cultivent : il n'y a point de callillédie au moyen de laquelle un puisse, a volonté, s'en procurer. Voyez les élèves de l'Ecole normale : choisis parmi les lauréats des colléges, élevés dans ! cette serre chaude, ils ont perdu, par leur éducation même, l'originalité, la personnalité, la foi. Ce sont des sceptiques, des écrivains trop bien élevés pour qu'il y ait en eux rien de spontané, de fort, de soudain, d'immédiat : ce Font de pédantesques médiocrités. 

ramené à sa phalange 1 : cela l'aurait calmé, et il eut l'ait, avec un juste sentiment de lui-même, moins exagéré, quelques chefs-d'œuvre de plus en évitant de graves reproches. 
, Maintenant, il faut que Courbet le sache : il doit marcher, il n'a que faire de parler de lui davantage ; on sait ce qu'il veut, où il va ; on l'attend aux œuvres. 
Ses confrères sont aussi éclairés que lui. Il aura des successeurs, des continuateurs, des rivaux, sans que ceux-ci aient à craindre que leur réputation en souffre, et qu'on leur fasse moins bonne justice. Les idées n'ont pas de propriétaires, et, de même que l'inventeur de la peinture à l'huile ne peut revendiquer la palme du talent, pour cette découverte, sur ceux qui en ont usé après lui, de même Courbet ne saurait prétendre à la supériorité du talent sur ceux qui le suivent, du seul fait de l'idée grande et heureuse qui l'a éclairé le premier. 
1. C'est ce que je viens d'essayer de faire. Mais Courbet, comme tous les artistes, veut être infini comme le monde, mystérieux comme l'idéal, surLout seul de son genre et de son espèce parmi les peintres. Je crains fort que, tout en lui rendant pleine justice et lui faisant une position splendide, il ne se trouve médiocrement satisfait. Ne l'aurai-je pas défini, classé, catégorisé, mis à sa place? Quelle audace! Sa réputation y gagnera, mais sa vanité en souffrira. Essayez donc de contenter ces messieurs. Vous pouvez vous entendre avec un philosophe, un savant, un entrepreneur d'industrie, un militaire, Un légiste, un économiste; avec tout ce qui calcule, raisonne, Combine, suppute; mais avec un artiste, c'est impossihle. 

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